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Interview de Laurence Rossignol, Ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes

Laurence Rossignol, Ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmesParent-Solo : avec "Parents solos et Compagnie", vous généralisez un réseau d'entraide et d'appui pour les familles monoparentales que vous avez testé de janvier à juillet 2016 sur cinq territoires. Quelles en sont les principales missions ?

Laurence Rossignol : Mon objectif premier, en impulsant ce réseau national, était de sortir de l’invisibilité les millions de familles monoparentales qu’on n’entend pas et qu’on ne voit pas car les parents solos assument seuls toutes les responsabilités, familiales, éducatives, professionnelles, sociales… Ils manquent de temps pour eux, pour souffler, pour s’organiser afin de se faire entendre. Certains peuvent être épuisés, découragés. A beaucoup d’égards, ce sont des parents extraordinaires, car ils font seuls ce que de nombreux parents parviennent à faire – et parfois difficilement – à deux. Mais à quel prix ?

J’ai alors pensé qu’un réseau inter-associatif, soutenu par l’Etat et les organismes de sécurité sociale, pourrait faire reconnaître les capacités et les compétences des parents solos, en leur permettant à eux, parents, de développer les projets et les actions dont ils ont besoin. Tout cela de façon collective car nous avons aussi le souhait de susciter l’entraide, de mettre en lien les parents solos entre eux et avec les associations. Les missions du réseau Parents solos et Compagnie sont donc de soutenir les actions collectives de parents solos, de leur permettre d’identifier rapidement les ressources qui existent près de chez eux, de créer une réelle mobilisation associative et, plus largement, d’interpeler les acteurs institutionnels, quels qu’ils soient, sur les problématiques auxquelles ces parents sont confrontés (stigmatisation par exemple) afin de les combattre plus efficacement.

Parent-Solo : les familles monoparentales ont besoin d'échanger entre elles, pour ne pas se sentir stigmatisées ni isolées, mais trouveront-elles le temps dans leur vie souvent très chargée, d'aller retrouver physiquement d'autres parents solos ?

Laurence Rossignol : Le réseau s’appuiera d’abord sur une plateforme internet (www.parents-solos-compagnie.org). Elle sera mise en ligne mi-décembre, car effectivement le temps libre est ce qui manque le plus aux parents solos et leurs possibilités d’organisation sont plus contraintes. Le temps manque aussi aux acteurs associatifs qui sont accaparés par les projets qu’ils développent, parfois sur des thématiques proches ou complémentaires sans le savoir. Regrouper l’information et publier en ligne les actions et les projets menés localement paraissaient donc la première étape indispensable.

Pour autant, le réseau aura réussi si les échanges numériques nourrissent des rencontres dans la vraie vie. C’est en ce sens que nous travaillons et les associations sont un point d’appui essentiel pour y parvenir. Ce sont elles qui, dans les quartiers, autour d’un centre social, d’une UDAF ou encore d’une action de parrainage de proximité peuvent mettre en place des solutions souples et adaptées aux situations des parents solos : par exemple, leur permettre de se retrouver pour monter un projet ou participer à un groupe de paroles, tout en organisant en parallèle un atelier pour leurs enfants afin qu’ils bénéficient d’une activité dans un cadre adapté. Le réseau ne pourra pas rallonger les journées des parents solos, il ne sera pas non plus fournisseur de baby-sitters. Mais il pourra, à la demande des parents solos et avec eux, penser et proposer des organisations qui faciliteront les échanges et les rencontres.

Parent-Solo : l'expérience de notre site nous a souvent montré que les familles monoparentales attendaient surtout des pouvoirs publics des aides d'ordre très pratique : financière, de logement, de garde, de gestion des temps de travail, etc. Vous avez fait avancer les choses notamment avec la GIPA ; ce réseau est-il autant attendu par les familles monoparentales ?

Laurence Rossignol : A l’issue de la phase expérimentale, le 28 juin 2016, nous avons organisé une journée nationale de restitution et d’échanges avec les associations et les parents solos impliqués dans le projet. Nous devions être certains que ce que nous avions expérimenté pendant plusieurs mois dans les 5 territoires était pertinent du point de vue des parents. Lors de cette journée, nous avons donc laissé une large place au débat et à la prise de parole des parents, via des échanges libres ou organisés dans le cadre d’ateliers. Nous avons effectivement senti une forte attente vis-à-vis des dynamiques créées par l’expérimentation ainsi qu’un besoin immense d’expression et d’écoute.

Au plan national, le réseau a déjà permis une chose qui peut sembler simple mais qui pourtant recouvre un enjeu fort, celui de la prise de parole des parents solos sur ce qu’ils vivent et ce à quoi ils sont confrontés dans leur quotidien, dans leur rapport aux institutions, à l’Ecole, aux travailleurs sociaux… Je souhaite que ces échanges, discussions et débats se prolongent. L’une des ambitions du déploiement progressif du réseau est de porter cette parole à l’échelle locale. Car c’est grâce aux voix des parents solos et à l’intérêt qu’elles ont suscité auprès des partenaires du ministère et dans la presse que des associations ont souhaité rejoindre le réseau, en apportant leur spécificité : ici, une association qui développe des solutions innovantes pour soutenir les familles monoparentales en difficulté de logement, là une association qui favorise leur départ en vacances…

Mais face à ces attentes qui sont naturelles, je veux dire aussi que le réseau ne résoudra pas à lui seul l’ensemble des problématiques des familles monoparentales. Et c’est la raison pour laquelle je l’inscris dans une action plus globale que je porte sur d’autres fronts : la GIPA (garantie contre les impayés de pensions alimentaires), la création d’une agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires, le développement des crèches d’insertion professionnelle pour les parents en recherche d’emploi, la revalorisation du montant de l’allocation de soutien familial… Je ne résoudrai peut-être pas toutes les difficultés des parents solos, mais si je veux avoir une chance de le faire efficacement, je dois agir à plusieurs niveaux. Et c’est ce que je m’efforce de faire, avec mes partenaires, dont les caisses d’allocations familiales et les associations.

Parent-Solo : les enjeux éducatifs et la responsabilité qu'ils représentent pour un parent seul constituent une préoccupation majeure des familles monoparentales. Comment voyez-vous le soutien que ce réseau peut leur apporter sur ce point ?

Laurence Rossignol : D’abord, je veux souligner que les enjeux éducatifs sont la première préoccupation des parents, solos ou pas. Une récente étude de la CNAF sur les besoins et attentes des parents en matière de soutien à la parentalité montre effectivement que les difficultés des parents se concentrent sur la scolarité, surtout à partir de l’entrée au collège de leur enfant. Mais à cela s’ajoute, pour les parents solos, le fait de devoir encore trop souvent affronter des jugements qui ne sont pas toujours bienveillants à leur égard de la part de l’institution scolaire, et le fait, bien sûr, de devoir assumer seul la responsabilité d’une orientation scolaire ou d’une décision concernant la scolarité de l’enfant.

Le réseau a pris en compte cette préoccupation majeure. Parmi ses membres, figure l’AFEV (Association de la fondation des étudiants pour la ville), qui permet à des étudiants bénévoles d’accompagner scolairement un enfant en difficulté. Leur rôle ne se résume pas à de l’aide aux devoirs. Ces étudiants échangent avec les parents sur le fonctionnement de l’école, du collège ou du lycée, expliquent les choix en matière d’orientation scolaire, peuvent accompagner l’enfant ou son parent à un entretien avec un professeur… Il y a des associations qui font un travail remarquable et nous devons les faire connaître et les soutenir. Par ailleurs, le réseau soutient l’organisation collective de parents solos : dans le Val-de-Marne, des mamans solos en difficulté avec le même collège ont décidé de s’organiser entre elles pour faire valoir leur point de vue. Elles se sont adressées à un centre social qui pourra s’appuyer sur le réseau pour les accompagner dans cette démarche.

Parent-Solo : qui sont les acteurs de terrain faisant partie du réseau, qui mènent des actions à la fois collectives et d'accompagnement des familles monoparentales ? Comment ont-ils été choisis ? Pourquoi certains acteurs de la monoparentalité - nous, comme d'autres - n'ont pas été associés à la genèse du projet ?

Laurence Rossignol : J’ai d’abord mené une concertation avec nombre d’acteurs associatifs, pendant près d’un semestre. A l’issue de cette phase, huit associations (AFEV, Fédération des Centres Sociaux et socio-culturels de France, Fondation pour l'Enfance, France Parrainages, Grand Parrains, Ligue de l'Enseignement, Parrains Par Mille et Union nationale des associations familiales) se sont portées volontaires pour expérimenter ce projet. Ce ne sont pas des associations « spécialistes » de la monoparentalité et, pour autant, les actions qu’elles conduisent concernent parfois jusqu’à 70% de familles monoparentales. Ces associations ont une grande connaissance des familles et ont réussi à tisser des relations de proximité avec elles. Par ailleurs, elles ont une assise nationale qui donne d’emblée une envergure importante à ce projet. Les têtes de réseau national sont en effet un atout pour déployer le réseau dans divers territoires du fait de leur implantation : les centres sociaux ou les unions départementales des associations familiales proposent un maillage territorial unique.

Les caisses d’allocations familiales et de mutualité sociale agricole ont décidé de s’associer. Par ailleurs, après la journée de restitution et d’échange, deux autres associations ont rejoint le réseau : le Secours catholique et l’Union nationale des acteurs du parrainage de proximité. D’autres associations plus locales, également, ont manifesté leur intérêt. Le réseau se construit et il va progressivement s’étendre.

Je dois dire qu’au départ, certains m’ont reproché de vouloir stigmatiser les familles monoparentales, d’où peut-être une hésitation à s’adresser à des acteurs de la monoparentalité. Cette hésitation est complètement levée car précisément nous avons expérimenté, discuté avec les parents solos et ce réseau est désormais attendu. Et je le dis très clairement aujourd’hui : tous les acteurs de la monoparentalité ont leur place dans le réseau, s’ils en partagent ses valeurs. J’espère ainsi que vous pourrez en devenir membre et que votre site sera relayé sur la plateforme.

On m’a reproché également de centrer ce projet sur le parent, et non sur l’enfant. Je suis ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes. J’ai toujours en tête l’intérêt et les droits des enfants quand j’aborde un sujet. J’assume complètement le fait de lier bien-être des parents et bien-être des enfants. S’intéresser au parent, ce n’est pas oublier l’enfant, au contraire. Et lui permettre d’avoir du répit, du temps pour lui est essentiel pour son équilibre et celui de toute la famille. Et j’ai aussi toujours en tête les droits des femmes et elles sont directement concernées par le sujet puisque 85% des parents solos sont des mamans solos.

Parent-Solo : une plate-forme numérique d'information accompagne le lancement du réseau "Parents solos et Compagnie" : qui trouvera-t-on plus spécifiquement ?

Parents solos et compagnie

Laurence Rossignol : La plateforme numérique www.parents-solos-compagnie.org sera un outil de référencement des associations et de labellisation des actions du réseau d’entraide. Pour figurer sur le site, elles devront respecter un certain nombre de critères (partir des besoins des parents solos, les impliquer dans la construction et la mise en œuvre…), gages du respect des valeurs et du fonctionnement du réseau. Cette plateforme sera également un outil d’information pour les parents solos qui pourront localiser, sur une carte, les associations et les actions à proximité de leurs quartiers. Ce sera, en outre, un outil d’échanges entre associations qui pourront partager leurs questionnements, pratiques, expériences, afin de faire du réseau d’entraide un lieu de formation permanente. Enfin, nous avons prévu de donner un petit coup de pouce à certaines actions mises en œuvre par des collectifs de parents solos. Ils pourront déposer une demande de financement de leurs actions, si celles-ci correspondent aux critères établis par le réseau.

Parent-Solo : que répondre à un parent solo qui nous contacte pour savoir comment rejoindre votre réseau ?

Laurence Rossignol : Tout parent solo peut se connecter sur le site www.parents-solos-compagnie.org. Il visualisera les associations et les actions qui sont proposées près de chez lui. Tout parent solo peut aussi, à son échelle, monter une action avec d’autres parents, ou inciter des associations qu’il connaît, qui n’auraient pas encore rejoint le réseau, à le faire. Plus le nombre de parents et d’associations sera important, meilleures seront nos chances de faire reconnaître les capacités des familles monoparentales et de combattre leurs difficultés.

Parent-Solo : à l'heure d'internet et des réseaux sociaux devenus incontournables, nous avons du fermer notre forum du fait de débordements incontrôlables de quelques membres, alors qu'il incarnait un lieu d'échange d'une formidable richesse "sociologique" et d'un soutien sans précédent pour les familles monoparentales. Finalement, pensez-vous que le retour au réel s'impose par rapport au virtuel ?

Laurence Rossignol : Je pense qu’internet est un outil formidable pour mettre en lien, favoriser les échanges, faire connaître des actions utiles et intéressantes mais cela reste et doit rester un outil qui ne peut pas constituer une fin en soi. La finalité de notre action, c’est l’activation de la capacité d’agir des parents solos, la promotion de l’entraide, la prévention de la solitude parentale.

J’observe également qu’internet donne un sentiment d’impunité à des personnes malveillantes, qui ne se permettraient pas de dire en face-à-face ce qu’elles écrivent sur les réseaux sociaux. J’en suis moi-même régulièrement la cible. Je regrette que vous ayez été contrainte de fermer le forum de votre site internet car, effectivement, il offrait un soutien, un partage du vécu à des parents solos qui, grâce à cela, reprenaient confiance en eux. Travaillons ensemble à déconstruire et à combattre les préjugés auxquels sont confrontés les parents solos pour que, sur Internet et dans la vraie vie, ils soient traités avec le même respect que celui dû à tout parent et à toute personne.

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