Un divorce par consentement mutuel sans juge : non équitable ?
Le projet de "loi pour la Justice du 21e siècle", déjà voté par le Sénat en novembre 2015, a été adopté par l'Assemblée nationale le 24 mai 2016. Comme la dernière version a subi quelques amendements, une commission mixte députés-sénateurs se réunira pour trouver une version de compromis.
Le ministre de la justice, Jean-Jacques Urvoas, y a notamment ajouté un amendement N° CL186 qui modifie l’article 229 du Code civil, visant à simplifier le divorce par consentement mutuel qui se ferait dorénavant devant notaire plutôt que devant le Juge aux Affaires Familiales (JAF) dans un but de "pacification des relations entre époux". Est-ce bien raisonnable ?
Le rôle du Juge aux Affaires Familiales (JAF)
En France, ce sont 54 % des divorces qui se font par consentement mutuel et ils sont homologués dans 99% des cas par le JAF (hors conventions modifiées à l'audience suite à l'intervention du juge). Donc, bien-sûr, on peut penser que cette "formalité" pourrait se faire ailleurs histoire de faire gagner du temps aux justiciables et de désengorger les tribunaux. Pourtant selon les juridictions, le délai est autour de 2 à 3 mois, ce qui risque d'être guère différent chez le Notaire. Par contre, il s'agit sans doute très certainement de faire des économies de moyens.
Certes, mais le JAF examine le dossier, lit les pièces, note des questions qu'il élucidera le jour où il rencontrera les époux. Même si les audiences ne durent en moyenne qu'autour de 8 mn, cela permet, dans certains cas où l'une des parties semble lésée, de réviser certaines clauses de la convention. Le juge est bien dans son rôle, ici, de gardien des libertés, de l'équité, de neutralité et de protection du conjoint le plus vulnérable.
Les avocats n'ont qu'un rôle de conseil qui n'a rien de contraignant et le notaire, avec qui aucun entretien n'est prévu, n'aura pas pour mission de contrôler l’équilibre des intérêts en présence.
La formalité d'enregistrement chez le notaire
L'amendement s'achève sur ce paragraphe : "Le coût de ce divorce se veut maîtrisé. L’enregistrement de l’acte par dépôt au rang des minutes du notaire sera notamment fixé à environ 50 €." Il va de soi que le notaire va en faire une formalité à expédier au plus vite, d'ailleurs il ne remplace pas le juge (gratuit, lui !), il "constate" le divorce. D'autant que le notaire n'aura, a priori, aucune responsabilité, qui reviendra, de fait, aux avocats. En effet, les époux auront signé la convention de divorce sur laquelle ils se seront mis d'accord avec leurs avocats respectifs qui les auront conseillés, mais le divorce ne deviendra exécutoire qu'une fois la convention "déposée au rang des minutes du notaire".
Aujourd'hui, un tiers des affaires examinées par le JAF sont des dossiers qui repassent soit pour des modifications objectives (changements dans les charges, dans les ressources, dans les lieux d'habitation...), soit pour des clauses inabouties de la convention de divorce. Il va sans dire que cela ne va pas diminuer avec cette réforme.
Risque que les plus faibles soient lésés
Ce divorce risque d'aggraver les inégalités à différents niveaux. On sait que les femmes, après un divorce s'appauvrissent davantage puisqu'elles gagnent en moyenne bien moins que leurs époux. Parfois, elles sont même poussées à faire fi des violences subies et accepter des compromis, sous la pression, pour en finir du harcèlement de leur mari : or, un juge était à même de déceler ce genre de dysfonctionnement lors de l'audience. Demain, ce ne sera plus possible. Les inégalités vont donc se creuser entre hommes et femmes.
Elles vont aussi s'accentuer selon les moyens financiers des parties. Les plus riches pourront s'adjoindre les services d'un avocat renommé qui connait bien le dossier, qui aura pu y passer du temps, multiplier les conseils sans compter, alors que ceux qui auront moins de moyens prendront un avocat parmi d'autres inscrit au barreau. Il sera parfois très bon mais peut-être n'aura-t-il pas beaucoup de temps à consacrer au dossier compte tenu des honoraires convenus. Certes, l'amendement prévoit que la procédure de divorce par consentement mutuel obligera chaque partie à avoir son propre avocat mais cela ne garantit pas l'équité.
Quant à ceux qui bénéficient de l'aide juridictionnelle, ils devront toujours attendre l'octroi d'un avocat pour entamer les démarches : ils continueront donc à avoir les délais les plus longs.
Outre les époux, ce sont aussi les enfants qui sont ignorés par cet amendement. Certes, il est prévu qu'ils puissent être entendus par le JAF sauf que c'est une bizarrerie du texte puisque c'est extrêmement rare dans le cadre d'une procédure de consentement mutuel. En revanche, l'intérêt de l'enfant et le lien qu'il doit garder avec ses deux parents ne sont pas du tout pris en compte dans ce texte. A tel point qu'on peut se demander s'il sera bien conforme à la Convention des Droits de l'enfant. Pareil, il n'existe pas de garde-fou contre une pension alimentaire mal estimée ou une prestation compensatoire qui lèse l'une des parties.
Déjudiciariser le divorce est une attaque au mariage-institution
Le mariage est une institution. C'est d'autant plus vrai qu'il n'est plus obligatoire, aujourd'hui, de se marier pour exister socialement. Si on ne souhaite qu'un contrat, le PACS suffit. Le passage devant le JAF avait un côté solennel qui faisait le pendant à l'acte solennel également du mariage et il semble que les époux y étaient attachés : une étape était franchie avec le passage devant le JAF.
En 2008 , alors que Rachida Dati était Garde des Sceaux, un projet visant à déjudiciariser le divorce avait été engagé, mais par précaution, une commission avait été mise en place afin de réfléchir à sa pertinence. Ainsi, la commission Guinchard avait écarté le projet de divorce devant notaire, estimant que les économies escomptées n'étaient pas suffisamment intéressantes (heures d'audiences / nombre de postes de juge) et que les contentieux post-divorces augmenteraient.
Finalement, le rôle essentiel du juge lorsqu'il vérifie le consentement des parties, la prise en compte de l’intérêt de l’enfant, la cohérence de la pension alimentaire et l'absence de pression d'une des parties sur l'autre, disparait sans être remplacé. Pour les divorces faciles, sans enfants et/ou sans patrimoine, sans conflits, cela ne posera pas de problème. Pour les autres, les plus nombreux, il en ira tout autrement...
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