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Interview de Fabienne Kraemer, auteur de "Solo / No solo. Quel avenir pour l'amour ?"

Fabienne Kraemer

Parent-Solo : Vous êtes médecin, psychanalyste et vous vous intéressez à l'amour, au couple et à leurs enjeux. Vous publiez "Solo / No solo. Quel avenir pour l'amour ?", et j'ai envie de vous poser la question suivante : l'amour est-il un mythe qui fait peur ou une réalité qui est de plus en plus vécue uniquement physiquement ?

L’amour fait peur car c’est une aventure dont on risque de souffrir. Et actuellement, la souffrance est de moins en moins inscrite dans le cour de la vie. Les jeunes couples sont issus de la génération du divorce, ils ont appris que l’on ne mourrait plus d’amour et que les enfants issus du divorce peuvent très bien réussir dans la vie. Mais ils ont souvent beaucoup souffert des peines d’amour de leurs parents. Ils redoutent donc plus que tout de souffrir d’amour. Ainsi on se lance dans l’aventure amoureuse de plus en plus sous Arnica 7CH tant on craint les bosses et les coups. Parallèlement à ça, l’expérience sexuelle est de plus en plus banalisée et prescrite, on se doit d’avoir tout essayé, et l’on assiste de plus en plus, dans la rencontre, par un début qui commence par la relation sexuelle. On devient un plan cul régulier avant de devenir un projet de vie à deux. Pourtant je crois que la génération des 20 - 40 croit encore à l’amour durable, et le cherche.

P.S. : Il y a vraiment un paradoxe car ces 20-40 ans qui seraient de plus en plus solos sont aussi les plus accros aux réseaux sociaux ?

Paradoxe ou au contraire une certaine logique. Les réseaux sociaux sont un moyen de ne pas avoir la sensation d’être totalement seul(e) chez soi, ils sont une illusion de présence. Ils rendent moins urgente la rencontre physique avec un autre. C’est bien entendu à double tranchant : d’une part, il est inimaginable aujourd’hui de ne pas avoir recours à l’attrait des réseaux sociaux qui permettent tout de même d’entretenir le lien et génèrent une sorte de fil informatif de nos vies, et d’autre part, même quand la relation devient "No solo", les réseaux sociaux envahissent l’espace de relation voire d’intimité et pour le coup parasitent en quelque sorte le tête à tête en privant la relation affective de ce qui fait en partie son essence : la consécration à 100% à l’autre. Sans compter que les réseaux sociaux sont de redoutables outils d’espionnage quand cela est nécessaire et servent souvent à garder un oeil sur ses ex et réciproquement.

P.S. : Si cette génération Y hésite à se mettre en couple, est-ce dû à l'échec du couple parental dont ils sont issus pour beaucoup ?

Je crois en effet que la génération des parents, la mienne, a trop fait subir aux enfants les affres de leur histoire d’amour et de leur divorce sans pour autant leur expliquer l’intérêt d’essayer l’aventure de la vie à deux. Nous sommes devenus des “polygames lents” (le terme n’est pas de moi), nous envisageons la vie en couple sous la forme de CDD plutôt que d’un CDI. Or je pense que perdre le sens de la quête d’amour et de vie à deux c’est renoncer à une part importante de notre humanité. Je ne dis pas que les périodes solo n’ont pas de sens, je suis heureuse que l’on puisse aujourd’hui vivre solo et pouvoir pourvoir à ses besoins, voire élever correctement un enfant, en revanche, je maintiens que renoncer définitivement à l’idée du couple durable, c’est abandonner une grande partie du sens de notre humanité. Car si l’on ne réussit pas à accepter de partager ce que l’on a de plus intime avec l’altérité d’un autre qui nous est génétiquement étranger, comment voulez-vous que l’on construise après une société solide prête à accepter les différences des autres ?

P.S. : L'horloge biologique des femmes reste malgré tout une réalité qui les conduit à vouloir se mettre en couple, non ?

Vous avez tout à fait raison, une fois de plus, l’augmentation de ce changement de vie risque d’être d’abord préjudiciable aux femmes. En effet, l’âge des grossesses ne cesse de reculer, il est désormais en France de 30 ans ; dans les pays nordique il dépasse 31 ans, on en prend la voie. Or la fertilité des femmes décroît rapidement à partir de 35 ans, et toutes les jeunes femmes le savent. Sous leur désir légitime d’être mères, elles se font donc plus pressentes vis-à-vis des hommes, ce qui les fait fuir car eux estiment avoir tout le temps de devenir père et sont d’abord focalisés sur leur avenir professionnel. Alors que les femmes doivent envisager tout de front : couple, travail, enfant. Au final on peut imaginer que les femmes, soit choisissent de plus en plus par défaut un compagnon, qui n’est peut-être pas leur idéal mais qui accepte de se mettre en couple, soit auront recours à des systèmes pour faire des enfants “toutes seules”. Les familles “monoparentales” (je n’aime pas ce terme car l’on n’a jamais qu’un seul parent ; même si il est absent ou inconnu, il existe. Dire "monoparental" c’est amputer l’enfant d’une part de son identité fut-elle manquante… mais c’est un autre débat) les foyers solo, vont faire qu’à terme les femmes risquent d’être de plus en plus en charge de l’éducation des enfants et j’y vois comme Eva Illouz une nouvelle forme de domination masculine, cette fois d’ordre économique. Et puis je crois que les hommes souffriront aussi d’être privés de leur rôle de père et risquent de se sentir “futilisés”.

P.S. : Dans notre société, l'image du célibat reste négative, ce qui rend encore plus troublant son développement ?

Tous les jeunes solo que j’ai rencontrés décrivent très bien ce paradoxe où la société semble défendre le fait qu’être solo est “tendance”, que l’on n'est jamais autant soi-même que seul, que le solo vit des expériences autrement plus fun que les couples, et parallèlement il y a une stigmatisation de la vie solo, elle ne fait pas encore partie de la norme. C’est peut-être parce que ça reste un phénomène nouveau, je me dis que ça commence à se banaliser dans les grandes villes tout de même. Mais aussi, parce qu’il y a une différence entre être solo momentanément et en faire un but en soi. La vie risque d’être de plus en plus une alternance de périodes solo et no solo, mais faire le choix d’une vie solo assumée comme un choix en quelque sorte définitif c’est, comme je le disais, un projet qui signe une méfiance en l’amour, qui pose question. Faire le choix de tenir l’autre à l’écart, c’est créer un monde de méfiance, ça m’évoque le film "Her" de Spike Jonze.

P.S. : Vous citez les héros de Friends, la célèbre série américaine : en quoi sont-ils représentatifs (ou pas) ?

La génération Y a été éduquée sentimentalement par Friends, je trouve que c’est une série très représentative de ce que l’on peut vivre aujourd”hui à titre individuel. Seulement si l’on intéresse aux deux couples de la série “Rachel et Ross” d’une part, et “Monica et Chandler” de l’autre, on touche à la définition même de l’amour. Tout le monde ou presque fantasme sur Rachel et Ross. Amoureux dès le début pendant les 10 ans des saisons on ne cesse d’attendre qu’ils s’avouent enfin leur amour et le vivent. Ce qu’ils ne feront jamais face à la caméra. Parce que Rachel et Ross c’est l’amour qui n’en finit pas de ne pas être. Trop exigeants et trop narcissisés ils n’arrivent jamais à s’avouer à eux-mêmes l’amour qu’ils portent à leur meilleur ami qu’est l’autre. Pendant 10 ans, ils font tout sans en profiter : se dire “je t’aime sous l’emprise de médicaments, se marier à Las Végas en étant saouls et ne pas s’en souvenir, ils font un enfant sans le désirer ouvertement ni l’un ni l’autre, l’élèvent en vivant ensemble sans être ensemble etc… Par ailleurs ils ne réussissent pas non plus leurs autres histoires, et au final vivent 10 ans d’échecs affectifs. Alors que Monica et Chandler qui ne s’aiment pas au départ, et n’ont pas une image surestimée d’eux-même, Monica parce qu’elle a été grosse et Chandler parce qu’il traine ses parents comme des boulets, s’inscrivent dès le départ dans un projet à deux. Chandler ayant même promis quand ils étaient ados de faire un enfant à Monica à 40 ans s’ils sont toujours célibataires. Mais dès lors qu’ils passent une nuit mémorable ensemble qui scellera leur complicité sexuelle, ils s’inscrivent dans un projet de couple. Ils se consacrent l’un à l’autre et ils vivent d’amour, de complicité, de bienveillance et de joie. Ils sont heureux ! Monica et Chandler profitent de toutes les étapes de leur vie en commun, ils sont bienveillants et aimants vis-à-vis de l’autre, même si ils sont foncièrement différents. L’épisode où Chandler tente d’aider Monica en faisant le ménage - mal - par définition puisque Monica est obsessionnelle et que Monica le remercie de son effort sans lui faire de reproche en est un exemple, ou encore quand Monica masse - mal - Chandler et qu’il lui attribue le titre “de meilleure mauvaise masseuse” en est un autre ou encore quand Chandler est responsable de la perte des photos de mariage et que Monica lui pardonne, ou quand Monica amène Chandler voir le show de son père travesti, etc…. Monica et Chandler c’est l’amour philia l’amour de ce que l’on a, quand Rachel et Ross c’est l’amour Eros l’amour de ce qui nous manque… Les premiers s’aiment d’amour, les seconds sont juste amoureux… Je crois plus à l’avenir de Monica et Chandler. Et si l’on s’en tient aux dix saisons de la série, Monica et Chandler ont été bien plus heureux que Rachel et Ross, non ?

P.S. : Vous vous interrogez sur le "goût immodéré pour l'individualisme qui justifierait l'infidélité"...et l'explosion du couple ?

Je suis marquée par le fait que l’infidélité est très souvent justifiée comme une fidélité à soi-même. L’engagement dans la relation avec un autre, est un sujet qui demande une part de loyauté. Je ne dis pas que l’on est obligé de rester avec quelqu’un avec qui l’on n’est pas bien, je ne suis pas contre les séparations. Mais l’infidélité n’est pas un petit évènement dans la vie d’un couple, même si l’autre l’ignore. C’est une étape marquante ce n’est jamais réellement “banal” on peut survivre à l’infidélité, mais on ne peut pas la banaliser. Je trouve que de plus il y a à plusieurs titres une perte de loyauté dans le couple. Car on peut aussi être déloyal en désertant par exemple l’intimité du couple, et en poussant l’autre plus ou moins consciemment à faire un faux pas. Je ne pense pas que l’infidélité ne soit pas au final issue de torts partagés, les torts sont toujours partagés c’est toujours 50 /50. Je crois qu’il faut plus penser au "nous" et moins au "je" ; ce qui compte quand on se lance dans le projet du couple c’est d’être avant tout fidèle à son “couple” et au projet commun.

P.S. : Alors, pour donner une touche positive, auriez-vous quelques conseils à donner pour éviter la routine et faire durer le couple ?

Et bien justement la routine c’est le propre de la vie, que ça soit une vie solo ou no solo. On vit tous une routine. L’autre du couple n’a pas pour mission de nous sauver de la routine. La vie est répétitive par essence, il faut apprendre à devenir les Top Chef de notre routine. et en faire une forme de farniente, cette capacité à s’ennuyer avec plaisir. C’est peut-être là que réside la réussite de certains couples, qui aiment “s’ennuyer ensemble”, c’est-à-dire qu’ils sont heureux de vivre les moments de vide inhérents à toute vie ensemble, sans faire le reproche à l’autre d’en être responsable. Car seul ou à deux la routine, l’ennui, le vide existent et en plus ils sont constructeurs et créatifs. Demandez à un artiste de ne jamais s’ennuyer il refusera systématiquement car il sait lui que l’ennui est le moment où sa créativité trouve sa source. Mon conseil est donc de trouver quelqu’un qui a une routine qui colle bien à la vôtre : si sa routine, c’est sortir tous les soirs et bien mieux vaut aimer ça, si c’est être en pyjama toute la journée, idem. Et surtout faire de la vie à deux un art de vivre. Soigner son intérieur, aimer les moments des repas, voire des tâches ménagères. Ne pas attendre de l’autre que les moments rares, ou d’exception. Il faut du temps à l’amour pour se déployer.

P.S. : Au final, selon vous, si les foyers monoparentaux augmentent, notre site www.parent-solo.fr a encore de beaux jours devant lui, mais ce n'est pas vraiment un signe positif pour notre société ?

Je pense que c’est inévitable dans la société que nous vivons, on passera peut-être tous par une période monoparentale ou solo, mais ça ne signifie qu’il faille en faire le projet d’une vie. Par chance on vit dans une société où les recompositions ont fait la démonstration que l’on peut inventer plein de nouvelles formes de recompositions ou de vivre ensemble, et ça c’est plutôt joyeux. Ensuite vivre seul n’est plus une période déprimante, et élever seul un enfant n’est plus synonyme d’échec, en ça, il faudra apprendre aussi à vivre heureux solo, même si il s’agit de ne pas en faire le but d’une vie. Comme on fait des enfants jeunes par définition et que je pense que l’on trouvera de plus en plus l’amour tard et de plus en plus avec quelqu’un qui ne sera pas le père ou la mère de nos enfants, la situation de parents “monoparentaux” risquent de se multiplier même au sein de familles ou de couples... puisque l’on vivra de moins en moins avec l’autre parent de nos enfants… vous avez de belles heures devant vous si vous vous ouvrez à la situation monoparentale au sein des recompositions…

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1 commentaire

Écrit par lili4933 le 20/01/2015 à 18h40

Interview très intéressant et positif. Merci.

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