Interview de Laurence Rossignol, Secrétaire d'Etat à la Famille
Parent-Solo : La proposition de loi relative à l'autorité parentale et l'intérêt de l'enfant, adoptée le 27 juin 2014 par l'Assemblée Nationale ne reprend que partiellement ce que prévoyait initialement le grand projet de Loi Famille : d'autres mesures sont-elles prévues en faveur des familles monoparentales ?
Laurence Rossignol : La proposition de loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant (APIE) est née du souci de mieux protéger l’enfant en cas de séparation des parents ou de décès de l’un des parents. A ce titre elle concerne directement des familles monoparentales. Ces familles sont confrontées à deux problèmes : un manque de liens affectif avec un parent absent, un manque d’encadrement de l’enfant et les problèmes financier qui découlent de cette absence. La PPL renforce le rôle du parent le moins présent qui n’a pas moins de droit mais surtout pas moins d’obligations envers son enfant tant qu’il se voit reconnaître l’exercice de l’autorité parentale. Celui qui n’élève pas l’enfant au quotidien doit malgré tout pourvoir à son éducation et son entretien. Ses manquements doivent être sanctionnés de façon à ce que l’autre parent ne se retrouve pas sans moyens de pression. Enfin pour encourager, dans l’intérêt de l’enfant, le dialogue entre les parents séparés qui ont peu de moyens, la PPL renforce l’accès à la médiation pour offrir aux parents un interlocuteur supplémentaire en sus de l’autorité judiciaire moins solennel et plus accessible pour les conflits de la vie quotidienne.
La proposition de loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant (APIE) contient plusieurs dispositions de nature à apaiser les conflits familiaux, dont les premières victimes sont les enfants des couples séparés. Ainsi, la proposition de loi APIE prévoit un recours renforcé à la médiation familiale de façon a prévenir les différends. Elle rappelle aussi qu’avant, comme après une séparation, chacun des parents est titulaire de droits et de devoirs envers son enfant. Les termes du jugement de séparation doivent être respectés qu’il s’agisse de la contribution financière aux besoins de l’enfant ou du temps que chaque parent est tenu de passer avec lui. La proposition de loi renforce les sanctions en cas de non respect des termes de la séparation et apporte ainsi un soutien aux familles monoparentales lorsqu’elles sont confrontées à des relations difficiles avec l’autre parent.
P.S. : Le dispositif de garantie contre les impayés de pensions alimentaires va être expérimenté dans 14 départements à compter du 1er octobre au lieu du 1er juillet 2014. Puisqu'il vise à améliorer le sort de ces familles, pourquoi ne pas l'avoir généralisé de suite ?
Laurence Rossignol : Le dispositif de garantie contre les impayés de pensions alimentaires (GIPA) sera expérimenté à compter du 1er octobre dans 20 départements. Il repose sur un ensemble de mesures nouvelles pour lever les freins au paiement de la pension. Ces mesures vont de la transmission au juge d’informations détenues par les caisses d’allocations familiales sur la solvabilité de l’autre parent pour permettre la fixation de la pension jusqu’au renforcement des outils de recouvrement des pensions impayées. Cet ensemble nécessite d’être testé pour nous assurer de sa pertinence. Les raisons qui conduisent aux impayés de pensions alimentaires sont souvent multiples et forment un ensemble complexe. La loi prévoit qu’un rapport d’évaluation devra être remis au Parlement. C’est à ce moment-là, et au vu des résultats obtenus, que nous déciderons s’il convient de généraliser cette expérimentation.
P.S. : Les familles monoparentales sont les premières victimes de la crise économique, pour reprendre le propos de Christine Kelly. Au delà de la Charte de la monoparentalité en entreprise, initiée par sa fondation K d'Urgences, prévoyez-vous des mesures en leur faveur comme par exemple au niveau de l'accès au logement ou de la garde d'enfants ?
Laurence Rossignol : La politique familiale dispose de plusieurs outils que le Gouvernement a souhaité renforcer pour soutenir les familles monoparentales :
- une prestation familiale dédiée aux familles monoparentales : l’allocation de soutien familial (ASF) qui est versée au parent isolé privé de l’aide de l’autre parent pour élever son enfant. Son montant s’élève à 95,52 euros par mois et par enfant et elle représente une dépense publique d’1,2 milliard d’euros environ par an. Dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, il est prévu de majorer progressivement cette aide de 25%. Une première revalorisation exceptionnelle est intervenue au 1er avril dernier et a permis de porter l’ASF de 90,40 euros à 95,52 euros par mois.
- d’autres prestations sont plus élevées lorsqu’elles sont versées à une famille monoparentale. C’est par exemple le cas du RSA (revenu de solidarité active) qui est majoré lorsque le parent est isolé et ce jusqu’aux trois ans de l’enfant.
- Enfin, la nouvelle Convention d’objectifs et de gestion signée en juillet dernier entre l’Etat et la CNAF prévoit la mise en place d’un parcours « séparation». Ce parcours vise à améliorer l’information et à faciliter les démarches des personnes en prenant en compte les différents impacts d’une séparation (revenus, logement, conséquences juridiques, liens familiaux etc). Il s’appuie notamment sur l’élaboration d’outils d’information adaptés et sur de nouveaux services dématérialisés. Une offre de contact est systématiquement proposée à l’allocataire qui déclare une séparation. En fonction du diagnostic réalisé, cette offre peut être complétée par un accompagnement social portant sur la réorganisation de la vie quotidienne (adaptation ou recherche d’un logement, recherche d’un mode d’accueil, etc.), les démarches à effectuer, l’appropriation du nouveau budget, ou encore l’accompagnement des différentes étapes du processus de séparation.
P.S. : Avec l'échec de leur mariage, les familles monoparentales redoutent, en plus, d'être des "mauvais parents". A l'école, l'exercice de l'autorité parentale conjointe n'est pas toujours claire pour les enseignants ou clairement appliquée : un "mémo" de cette gestion pour les enseignants pourrait être une idée, qu'en pensez-vous ?
Laurence Rossignol : Vous estimez que les enseignants appréhendent mal l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Il ne me revient pas de confirmer cette appréciation. Je peux simplement vous dire que je suis très attentive à ce qu’on ne stigmatise aucune famille et encore mois les familles monoparentales. Ils affrontent avec courage une situation souvent difficile. Je crois qu’il convient de saluer ce courage et de porter sur eux un regard beaucoup plus bienveillant.
P.S. : Sur notre site www.parent-solo.fr se côtoient des mamans et des papas solos de tous milieux sociaux, à la recherche d'informations juridiques mais aussi de lien social pour rompre la solitude qui est inhérente à la séparation. Nous constatons des situations de détresse économique mais aussi psychologique de plus en plus graves : nos gouvernants sont-ils conscients de ce sombre glissement ?
Laurence Rossignol : Oui, nous observons malheureusement qu’en plus des difficultés matérielles, la monoparentalité s’accompagne souvent d’une certaine forme d’isolement social. C’est pourquoi je souhaite promouvoir des initiatives telles que le « grand-parrainage ». Cette formule élaborée par des associations, telle que l’association « Grands-Parrains » rapproche des personnes âgées et des parents, souvent des familles monoparentales, qui vont conclure une grand-parrainage prévoyant de façon souple des visites de l’enfant au grand-parrains ou des sorties communes. C’est un bel exemple de solidarité intergénérationnelle que je souhaite saluer.
Voir la page du Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes consacrée au Secrétariat d'Etat à la Famille.
Crédits Photo : Tous droits réservés par Laurence Rossignol
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