Interview de Marianne Rubinstein, auteur de "Les arbres ne montent pas jusqu'au ciel"
Parent-Solo : En parallèle de votre activité de Maître de conférences en économie et de chercheuse, vous poursuivez une carrière littéraire qui vous amène à publier aujourd'hui "Les arbres ne montent pas jusqu'au ciel", un roman qui prend la forme d'un journal d'une maman, dont le mari est parti pour une de ses amies. L'écriture d'un journal ou l'écriture en général semble souvent servir d'exutoire pour se reconstruire, non ?
Pour Yaël, la narratrice de ce journal, l’écriture est davantage qu’un exutoire. Elle est au centre de sa vie nouvelle. D’où son désir de se décoller de sa peine pour mieux l’observer, de résister aux mots bilieux qui lui viennent par hoquets, comme elle l’écrit dans son journal le 7 novembre. Et cette mise à distance l’aide à se reconstruire.
P.S. : Dès le début, on retrouve les différentes phases et les sentiments qu'ont ressentis de nombreux parents solos : "s'anesthésier dans le sommeil", "à l'intérieur, tout est brulé", "un désir du vide - non de la mort", "salutaire colère", jalousie du bonheur de l'ex ; pour apaiser ces souffrances, le rôle de la "marquise" est-il important et incontournable ?
Chacun ses solutions. Yaël a l’intuition que si cette rupture fait si mal, c’est aussi parce qu’elle découvre et met à vif une très ancienne blessure, une dévastation première. La « marquise » (sa psychanalyste) va l’aider à s’en approcher, ce qu’elle ne pourrait faire toute seule
P.S. : "Au lieu de ne pas supporter d'être quittée, demande-toi plutôt si tu l'aimais encore" ; l'amie de Yaël, l'héroïne, ne peut pas croire qu'elle ne s'était pas aperçue que ça ne collait plus. N'est-ce pas assez souvent le cas ?
C’est toujours compliqué. L’autre est parti et c’est humiliant. Mais n’avons-nous pas fait en sorte qu’il parte et prenne la responsabilité de la rupture ? C’est une question que Yaël refuse d’envisager dans un premier temps, mais dont elle ne peut faire l’économie.
P.S. : Petit à petit, "l'espoir d'une vie nouvelle où la perte des illusions n'empêche pas d'être capable, s'il se présente, de saisir le bonheur au vol", jusqu'à oser dire "je suis libre" : dès lors, une page semble tournée ? N'est-ce pas à ce moment que l'ex tente une reconquête, bien souvent ?
Toujours difficile de perdre, même quand on est celui qui part, non ?
P.S. : Vous faites remarquer la difficulté d'être un parent seul face à "la chaleur d'une soirée crêpes, à cette famille catholique, nombreuse et structurée" : l'enfant voit-il cela comme une alternative aussi différente et déstabilisante ? Met-il ses parents en concurrence ?
Simon est trop petit (3 ans) pour mettre ses parents en concurrence. Il n’empêche que Yaël, sa maman, se sent très démunie par rapport à ce que l’autre parent propose et qu’elle ne peut donner.
P.S. : Aimer, est-ce "tout faire pour rendre l'autre heureux" finalement ?
C’est aimer au sens le plus plein et le plus noble. Mais on n’y arrive pas toujours… Même pour son fils, Yaël a parfois du mal à accepter qu’il découvre la joie des premières neiges sans elle.
P.S. : Les nouvelles rencontres de Yaël avec des hommes sont-elles là pour assouvir "un besoin de consolation impossible à rassasier", un "besoin de s'oublier dans le désir de l'autre" ?
Oui, mais aussi de se sentir désirable et d’éprouver du plaisir
P.S. : Et la quarantaine - au centre aussi du roman - est-ce "la question du désir" et du "temps compté" ?
Oui, entre autres. La quarantaine est un âge charnière, en particulier pour les femmes : entre l’inquiétude qu’on ne les regarde bientôt plus de la même manière parce qu’elles sont moins jeunes et la conscience de perdre progressivement leur capacité d’être fécondes, tout cela est déstabilisant. Mais c’est aussi, me semble-t-il, un moment où de nombreuses femmes se réapproprient leur corps car les enfants ont grandi, retrouvent la chaleur des amitiés féminines et la liberté de s’interroger sur leur propre désir.
P.S. : A propos de son fils de 3 ans, Yaël dit "Ce n'est pas à moi de m'accrocher à lui pour y trouver une raison de vivre, mais à lui de le faire pour grandir" : c'est une vision très importante de l'éducation en solo. Expliquez nous ?
Cela renvoie à la question précédente sur l’amour. Aimer un enfant, c’est (entre autres) lui donner les moyens de grandir et de devenir autonome. Ce n’est pas toujours facile et c’est pour cela que Yaël est vigilante et cherche à ne pas l’étouffer avec ses propres manques.
P.S. : Nous essayons que notre site www.parent-solo.fr soit un support, une aide pour aider la maman ou le papa seul à faire sa "mue", à "traverser le miroir et atteindre l'autre rive" ; qu'auriez-vous envie de dire à ceux qui ne croient pas pouvoir un jour ne plus regretter leur vie antérieure avec leur ex ?
Comme l’écrivait Montaigne, il ne faut pas chercher à consoler l’éploré(e), ni à minimiser son chagrin en lui disant que le temps guérit les peines de cœur et qu’il y a des choses plus graves dans la vie. Mieux vaut distraire, divertir. Alors j’espère que les tribulations de ma Yaël Koppman dans la quarantaine auront aussi cette faculté.
Découvrir "Les arbres ne montent pas jusqu'au ciel" de Marianne RUBINSTEIN.
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