Repenser la garde des enfants du divorce - Le Monde du 12 novembre 2010
Voici le texte de la tribune publiée dans le quotidien Le Monde du 12 novembre 2010, cosignée par les personnalités listées ci-dessous :
"L'autorité parentale appartient aux père et mère jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour assurer son éducation et permettre son développement" (article 371-1 du code civil). La loi définit ainsi l'engagement consenti par le père et la mère en vue de l'éducation de leurs enfants.
Depuis plusieurs années, notre pays connaît un nombre de divorces élevé et constant (70 000 par an impliquent des enfants mineurs). Dans le même temps, les pères séparés entendent, de plus en plus, avoir une place à part entière dans l'éducation de leurs enfants.
En 2006, Anne-Marie Lemarinier, responsable du service des affaires familiales au tribunal de grande instance de Paris, reconnaissait d'ailleurs "une évolution récente allant dans le sens d'une forte implication des pères séparés dans les soins donnés à leurs enfants". La convergence de ces deux phénomènes aboutit à un constat simple : le mode de garde des enfants s'impose comme une nouvelle question de société.
Si la résidence monoparentale est le modèle le plus répandu, la loi du 4 mars 2002 a permis d'introduire la résidence alternée comme mode de garde alternatif. Cependant, ce modèle reste marginal et représente, en 2009, moins de 13 % des modes de garde, l'âge moyen de l'enfant étant de 9 ans. Il est légitime de s'interroger sur les raisons de cette faible utilisation. La loi de 2002 laisse une très grande liberté au juge aux affaires familiales dans ses choix. Il est toutefois difficile en deux, voire trois auditions, de se faire un avis définitif sur le meilleur mode de garde pour un enfant. Cela est malheureusement souvent le cas.
La résidence alternée est peu mise en place, car une prime est donnée au parent qui y est le plus réticent. Lorsqu'un parent s'oppose à la résidence alternée, elle n'est quasi systématiquement pas appliquée. En effet, les considérations personnelles de chacun des parents prennent fréquemment le pas dans les discussions sur l'hébergement des enfants.
Les tensions du couple, qui ont existé pendant plusieurs années, et qui sont à leur paroxysme, ne s'estompent pas du jour au lendemain. L'adhésion des deux parents à la proposition de résidence alternée ne se rencontre pas toujours, mais comme l'écrivent Jean Le Camus, professeur de psychologie, et Michèle Laborde, juge aux affaires familiales : "Il n'est pas nécessaire que les parents soient parfaitement d'accord pour mettre en place un tel régime et il faut pouvoir empêcher un parent (la mère le plus souvent) de s'opposer à la garde alternée pour de mauvaises raisons (la volonté d'appropriation exclusive de l'enfant notamment)." Dans beaucoup de cas, le juge aux affaires familiales va refuser une résidence en alternance au motif que les parents ne s'entendent pas, mais lorsque l'on divorce c'est toujours le cas.
Aujourd'hui, il n'est pas possible de dissocier, pour des personnes en conflit ouvert, l'affect de la raison. C'est pourquoi des séances de médiation, utilisée actuellement dans moins de 4 % des cas, permettraient de mettre la passion de côté et de recentrer les esprits sur l'intérêt de l'enfant. En effet, un moyen d'apaiser les conflits serait d'automatiser la médiation afin que les parents puissent retrouver un équilibre stable pour l'enfant. On ne peut nier que l'évolution de la société a poussé à plus d'implication de la part des pères, ils sont aujourd'hui de plus en plus nombreux à vouloir tenir pleinement leur rôle malgré un divorce ou une séparation.
De nombreux pays européens ont d'ailleurs déjà mis en place des politiques qui vont dans ce sens comme l'Italie, la Belgique ou les Pays-Bas. L'Italie fait, dans ce domaine, figure d'exemple, qui a défini, depuis 2006, la résidence alternée comme solution prioritaire en cas de séparation des parents. Si un juge souhaite une garde monoparentale, il devra justifier son choix. Depuis cette réforme, la résidence en alternance représente 40 % des modes de garde d'enfants dans ce pays. La Belgique a également fait voter une loi dans ce sens disposant qu'à défaut d'accord l'hébergement alterné serait privilégié par les juges.
Construction d'un enfant
Ces deux exemples montrent qu'inverser la charge de la preuve est une piste de réflexion intéressante, car il reviendrait au parent réticent d'expliquer son opposition. La question n'est pas de généraliser la résidence alternée, mais de remettre l'enfant au centre du débat en lui offrant la possibilité, si les conditions sont réunies (notamment l'âge de l'enfant supérieur à 2 ans et demi), d'être élevé par ses deux parents, car nous défendons l'idée que la construction d'un enfant se fait en présence de ses deux parents.
Nous pensons qu'il est nécessaire de traiter avec une plus grande égalité les demandes des deux conjoints, et ce même si l'un des deux s'oppose à la résidence en alternance. Ce phénomène est malheureusement très peu traité alors qu'aujourd'hui, dans notre pays, des mères, des pères, mais surtout des enfants, souffrent de cet état de fait.
N'oublions pas que la rupture du lien avec l'un de ses parents est pratiquement irréversible et frappe à vie l'enfant devenu adulte. Dans une société où les individus sont en manque de repères, un débat doit s'ouvrir autour de ces questions afin que les enfants vivent au mieux ces situations difficiles.
Tribune signée par les personnalités suivantes :
. Richard Mallié, député (UMP) des Bouches-du-Rhône ;
. Jean Pierre Decool, député (UMP) du Nord ;
. Marc Dolez, député (Gauche démocrate et républicaine) du Nord ;
. Richard Binet, grand reporter à France Télévisions ;
. Laurent Boussié, grand reporter à France Télévisions ;
. Christian Dessert, ingénieur du Centre supérieur d'études industrielles, chef d'entreprise, président d'Urgence Papa ;
. Michel Dugnat, responsable de l'unité de prévention et de traitement des troubles de la relation précoce du centre hospitalier de Montfavet (Avignon) ;
. Bertrand Giraud, ingénieur en chef des Mines, docteur ès sciences ;
. Bernard Golse, chef de service à l'hôpital Necker-Enfants malades (Paris), professeur à l'université Paris-Descartes, pédopsychiatre et psychanalyste à l'Association psychanalytique de France (APF) ;
. Serge Hefez, responsable de l'unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris) ;
. Armand Jung, député (PS) du Bas-Rhin ;
. Jean Le Camus, professeur de psychologie ;
. Gérard Neyrand, sociologue, responsable du Centre interdisciplinaire méditerranéen d'études et de recherches en sciences sociales, professeur à l'université Paul-Sabatier (Toulouse) ;
. Jean-Pierre Olié, chef du service hospitalo-universitaire de santé mentale et thérapeutique au centre hospitalier Sainte-Anne (Paris) ;
. Elisabetta Ruspini, professeur de sociologie à la faculté de Milan (Italie) ;
. Rudy Salles, député (Nouveau Centre) des Alpes-Maritimes ;
. Louis-Albert Steyaert, président de l'association L'Enfant et son droit.
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