Me Franck Méjean, auteur du "Guide du divorce et de la séparation"
Parent-Solo : Vous êtes avocat à Perpignan et vous vous êtes, depuis 30 ans, spécialisé dans le droit de la famille. Pourquoi parlez-vous de votre ouvrage comme un "guide impertinent du divorce et de la séparation" ?
Me Franck Méjean : Parce que, contrairement à la pratique en la matière, je porte un œil plus que critique sur l’institution judiciaire que je côtoie au quotidien. Le système français n’est plus du tout adapté au droit de la famille par manque de moyens et de formation de ceux qui sont censés le gérer. Je pointe donc, dans mes "chroniques d’un avocat engagé" sur Internet, reprises en partie dans mes livres, tous les disfonctionnements et toutes les erreurs dont je suis le témoin impuissant. Au moins ai-je le courage de les dévoiler, afin que le public ne sombre pas dans la Justice comme le Titanic dans l’océan Atlantique.
P.S. : Il est important de retracer peut-être ici votre engagement militant en faveur de légalité parentale : son origine, ses raisons et ses concrétisations…
Me F.M. : Cela fait maintenant plus de 30 ans que je me suis investi dans l’égalité parentale, qui pour moi est le droit des enfants à leurs deux parents. J’avais à l’origine milité au sein du mouvement de l’égalité parentale aux côtés de deux personnes absolument extraordinaires : Yves Loyer et Paul Elkaïm.
Je me suis, par la suite, un petit peu éloigné de ces associations, tout en restant à leur écoute. Je suis actuellement membre du Comité d’Honneur de l’association S.O.S. Papa, ce qui me permet de ne pas être systématiquement d’accord avec les options prises par les uns ou les autres, et de conserver mon libre arbitre.
P.S. : Vous défendez la résidence alternée qui continue à faire débat. Quels sont les quelques arguments forts que vous opposez à ses détracteurs.
Me F.M. : J’ai plaidé ma première résidence alternée, que l’on appelait à l’époque garde alternée, en 1979. Je n’avais rien découvert puisque cela faisait plus de 20 ans à l’époque que les pays scandinaves, et en particulier la Norvège, pratiquaient ce système.
Il m’est apparu particulièrement intelligent, puisqu’il permettait de maintenir en situation d’égalité absolue le père et la mère au moment de leur séparation qui, comme tout le monde le sait, est l’instant critique, au cours duquel les uns et les autres sont capables de faire tout et n’importe quoi pour se venger de la souffrance qu’on leur impose.
Je sais qu’un médecin du centre de la France a tenté un lobbying féroce auprès des parlementaires pour essayer de faire revenir le législateur sur la Loi intelligente du 4 mars 2002. Heureusement il n’y est pas arrivé. Il semblerait que ce monsieur s’inspire des grilles des travaux menés par un pédiatre américain qui, pour les résumer, indique de façon péremptoire que de 0 à 3 ans, un enfant n’a pas besoin de son père ; de 3 à 6 ans, un petit peu et au-delà de 6 ans on verra bien. Or, le déséquilibre que provoque soit disant la résidence alternée est une monstrueuse imposture.
Prenons, si vous le voulez bien, le cas le plus courant. Lorsque des parents se séparent, il est assez classique que le père, chez qui les enfants ne vivent pas, puisse bénéficier de la possibilité de les rencontrer un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires, outre, assez souvent, un milieu de semaine sur deux. Si l’on s’en tient à ce schéma classique, les enfants vont déménager quatre fois par mois pour une période de deux jours.
En revanche, lorsque le principe de résidence alternée est mis en œuvre, et le plus souvent par périodes hebdomadaires, les enfants déménagent toujours quatre fois, mais pour huit jours : cherchez l’erreur ! Je crois que le dogmatisme, en matière de droit de la famille, doit être écarté des débats.
La résidence alternée n’est absolument pas plus déstructurante que la séparation même des parents et est au contraire un facteur de stabilité parce qu’elle permet d’éviter les conflits parentaux. Par ailleurs, contrairement à une idée reçue, elle est utilisée, et doit être utilisée, surtout lorsque les parents ne s’entendent pas, encore une fois pour les mettre en situation d’égalité quant au nombre et à la qualité des initiatives à prendre dans le seul et strict intérêt des enfants. Nous venons d’ailleurs d’obtenir, de la Cour d’Appel de Nîmes, un Arrêt fort intéressant qui rappelle ce principe.
Certes, je n’ai jamais considéré que la résidence alternée était la solution à tous les problèmes. Elle est en revanche, me semble t-il, un facteur d’équilibre pour les enfants en évitant que les parents s’entretuent au moment de la séparation, ce que je vois malheureusement à longueur de journée.
Arrêtons les hypocrisies qui courent dans le milieu judiciaire : lorsqu’un homme et une femme se séparent, il est assez rare qu’ils soient tous les deux d’accord. Lorsque l’un subit la séparation, il va tout naturellement vouloir se venger. Il utilisera soit l’argent soit les enfants, parfois les deux.
La résidence alternée est un moyen de ne pas lui donner la possibilité d’utiliser les enfants, en tout cas de le faire avec beaucoup moins de facilité que lorsqu’il est investi de tous les pouvoirs en en obtenant la domiciliation principale.
P.S. : Que pensez-vous de l’évolution du droit de la famille depuis 30 ans ? Et plus récemment, quel est votre sentiment quant à la création éventuelle d’un statut du beau parent et quant au développement souhaité de la médiation ?
Me F.M. : De mon point de vue, pendant une vingtaine d’années, et en tout cas jusqu’à la réforme du 4 mars 2002, l’on avait le sentiment que le législateur, relayé par le corps judiciaire, essayait d’avancer vers plus d’égalité et plus de respect du droit des enfants à leurs deux parents.
La fameuse Loi du 4 mars 2002, connue sous le nom de "Loi Royal", même si elle était très intelligente n’avait pas inventé grand’chose. En demandant à ce que le juge privilégie celui de deux parents qui était le plus apte à permettre une relation normale entre les enfants et celui chez qui ils ne vivaient pas, le législateur français avait copié les lois californiennes datant de 1989. En réintroduisant la résidence alternée, le législateur n’avait fait que reprendre ce que nous avions obtenu depuis 1979 devant les tribunaux, structure de domiciliation, comme je vous l’ai indiqué plus haut, issue directement des pays scandinaves.
Depuis cette date, l’on constate malheureusement un reflux. Par manque d’effectifs et de formation, j’ai vraiment l’impression que l’égalité parentale s’essouffle. A croire que donner la domiciliation des enfants quasi systématiquement à la mère est une façon confortable de penser ne pas se tromper. Cela me rappelle les mots de l’évêque Foulques, sous les murs de Béziers, lorsque, interrogé par Simon De Montfort, qui menait la croisade contre les albigeois : "Monseigneur, comment allons-nous reconnaître les hérétiques des autres", il répondait : "Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens".
En attribuant quasi systématiquement la domiciliation des enfants aux mères, on a l’impression que le corps judicaire pense ne pas se tromper. C’est fait fi de l’évolution de la société dans laquelle la femme, de façon tout à fait normale, revendique l’égalité avec l’homme sur le plan professionnel en particulier. Curieusement, la seule matière dans laquelle cette égalité est absente, c’est le droit de la famille. Et nous sommes, au Cabinet, les témoins de décisions absolument extraordinaires dans lesquelles la justice coupe allègrement toute relation entre un enfant et son père, au motif par exemple que la mère a décidé de partir vivre aux Etats-Unis avec son nouveau mari… Je n’ai rien, bien évidemment, sur le plan du principe, contre cette société matriarcale que l’on est en train de créer, si ce n’est qu’elle donne aux enfants de la séparation une image qui n’est pas, de mon point de vue, la réalité de la vie.
Je reviens donc à la résidence alternée et à l’image qu’elle véhicule, savoir une image d’égalité et de respect mutuel.
Pour ce qui est du statut du beau parent, je pense que c’est beaucoup de complications pour pas grand chose, d’autant plus que l’on assiste à des changements assez radicaux de vie et à des multiplications de relations.
Pour ce qui est de la médiation, c’est un leurre, qui ne fonctionne pas en France. Elle est issue des pays anglo-saxons mais il me semble que notre pays, tout comme la plupart des pays latins, n’est pas préparé à la médiation, qui est une façon comme une autre de se débarrasser des problèmes sur des tiers. J’ajoute que je place sur un pied d’égalité les auditions d’enfants par les juges, qui ne sont absolument pas préparés à cela et la présence d’avocats d’enfants qui ne le sont pas plus que les autres.
Je pense que l’on fonctionne véritablement la tête à l’envers. Il existe des psychologues, cliniciens, qui ont fait des études pour pouvoir justement apprendre à écouter avec beaucoup de discernement les enfants. L’affaire d’Outreau n’a pas, semble t-il, donné la leçon qui s’imposait, savoir du recul face à la parole de l’enfant dans des situations traumatiques.
P.S. : Malgré des procédures de divorce qui se veulent plus simples, rien ne semble avoir véritablement changé : les enfants restent au cœur des conflits et trinquent toujours, non ?
Me F.M. : Il est exact que, comme je viens de vous l’indiquer, l’on assiste à une régression judiciaire de l’égalité parentale.
Ce que je trouve absolument extraordinaire dans ces histoires, c'est que des hommes et des femmes, qui sur le plan personnel sont pleins de qualités, manquent de la plus élémentaire intelligence du cœur et sont prêts à sacrifier l’équilibre de leurs enfants sur l’autel de leurs haines réciproques.
Je considère, et vais-je peut-être soulever des passions, que dans bon nombre de cas des hommes et des femmes qui divorcent n’ont pas le discernement nécessaire ni le recul suffisants pour gérer eux-mêmes l’avenir de leurs enfants.
C’est sur ce point que l’institution judiciaire ne remplit pas son rôle. Le Juge doit être celui qui décide et lorsqu’il constate que des hommes et des femmes dépassent les bornes, ne doit pas hésiter à se montrer sévères au nom de l’intérêt sacré des enfants.
P.S. : Par ailleurs, l’argent semble aussi rester le nerf de la guerre et envenime les séparations ?
Me F.M. : Vous avez parfaitement raison. L’argent reste un des points importants de la séparation et donne lieu à des guerres sans merci.
P.S. : Vaut-il mieux un Pacs qu’un mariage puisque sa rupture semble plus facile ?
Me F.M. : De mon point de vue, que l’on parle d’ une dissolution de Pacs, de mariage ou d’union libre, le problème est le même. L’imbécilité des uns et des autres se partage de façon tout à fait équitable et peut importe la façon qu’ont eu les gens de vivre, lorsqu’ils se séparent et lorsqu’ils ont décidé de se battre, ils le font.
En définitive, que vous soyez pacsé, en union libre ou marié, quelle est la différence lorsqu’il s’agit d’essayer de trouver des solutions intelligentes pour vos enfants ? A partir du moment où personne n’y met du sien, tout est possible et le naufrage dans l’absurde peut démarrer.
P.S. : Pour les couples mixtes, les conséquences du divorce demeurent un parcours du combattant qui peut ruiner une vie et détruire des enfants ?
Me F.M. : Vous avez raison, les choses sont encore plus compliquées lorsque l’on a à faire à des couples mixtes. La France fait preuve d’une candeur extraordinaire puisqu’elle a une forte tendance à appliquer les décisions étrangères sur notre territoire en vertu des conventions internationales.
Ce que je trouve stupéfiant, c’est que les étrangers, eux, ne le font pas ; pour preuve, tous les problèmes avec l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Espagne et surtout les Etats-Unis. Sur les milliers de dossiers que j’ai gérés, il m’est arrivé assez souvent de me trouver confronté à des problèmes avec l’étranger. Je n’ai que très rarement réussi à faire respecter les décisions françaises.
Curieusement, un de mes plus beaux succès a été de réussir à rapatrier une petite fille qui avait été enlevée par la famille de son père décédé au Cameroun, grâce à l’intervention efficace de notre gouvernement, auprès du Président Biya.
P.S. : Les internautes – souvent désemparés – découvrent notre site www.parent-solo.fr, lorsqu’ils se mettent en quête de renseignements sur leur divorce ou séparation : si vous aviez 3 conseils primordiaux à leur donner, quels seraient-ils ?
Me F.M. : Je n’aurai pas la vanité d’imaginer pouvoir donner des réponses définitives aux candidats à la séparation ou au divorce.
Tout au plus pourrais-je leur demander de bien réfléchir avant de se lancer dans une aventure dont ils ne mesurent pas les conséquences, tant pour eux que surtout pour leurs enfants.
Je leur conseillerais également de faire preuve de modestie, d’abnégation, d’esprit de sacrifice à l’égard de leurs enfants en essayant de dépasser les contentieux d’adultes pour se mettre à leur portée et de penser que, eux, ne demandent rien à personne, si ce n’est de pouvoir continuer à avoir des relations normales avec papa et maman.
Enfin, je leur suggérais d’essayer de trouver suffisamment de ressources au fond de leur cœur et de leur intelligence pour se mettre autour d’une table et discuter, afin de ne pas laisser à des tiers le soin de décider de leur vie et de celle de leurs enfants.
Voir le site internet de Me Franck Méjean
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