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Pascal Lardellier, l'interview, auteur de La Guerre des mères

Pascal LardelierParent-Solo : vous êtes Professeur à l’Université de Bourgogne, auteur par ailleurs, et vous publiez un livre « La guerre des mères » : pourquoi ce titre guerrier ?

Si le titre de mon ouvrage peut sembler « guerrier » de prime abord, j’espère qu’il est adouci par son sous-titre : « parcours sensibles de mères célibataires ». « Guerre des mères », parce que toutes les femmes à qui j’ai donné la parole se « débattent » vaillamment avec maints problèmes quotidiens accrus par le fait qu’elles sont seules avec enfant(s) la majeure partie du temps, n’ayant donc pas à la maison un autre adulte/parent sur qui « se reposer ». Mais le mot « guerre » est en partie métaphorique, et il faut surtout entendre « guerre des nerfs » dans ce titre, tant il faut que les « mamans solo » les aient solides, les nerfs, pour mener – c’est l’impression générale qui domine au terme de mon enquête - plusieurs vies de front : mère, employée, femme…

Je précise en aparté que j’ai déjà consacré en 2004 et 2006 deux précédents ouvrages aux célibataires, l’un s’intéressant aux sites de rencontres (« Le cœur Net. Célibat et amours sur le Web »), et l’autre aux clichés médiatiques et sociaux caractérisant les « singles » (« Les Célibataires. Idées reçues »).

P.S. : dans les statistiques officielles, la « mère célibataire » n’existe pas, tout comme les filles-mères sont d’une autre époque. Femmes seules, parent isolé, femmes en famille monoparentale, etc, la confusion est forte dans les médias. Alors, de qui traitez-vous en parlant de « mère célibataire » ?

La confusion peut sembler forte dans les termes et les médias, et pourtant, elles sont presque deux millions en France à être en situation de monoparentalité ! Cette enquête souhaite donner la parole à toutes les femmes – sœur, cousine, voisine, amie, collègue – élevant seules ou presque leur(s) enfant(s). Et elles s’expriment dans ces pages sur le tissu de relations intimes et sociales qui fait leur vie quotidienne : rapports avec l’enfant, bien sûr, avec le père de celui-ci, avec les familles, l’employeur et les collègues, les amies, les hommes…

Je précise que si plusieurs ouvrages avaient pris pour sujet la monoparentalité précaire, aucun à ma connaissance ne s’intéressait aux mères célibataires salariées, avec des enfants relativement jeunes ; c’est le cas de celui-ci. J’espère donc que cet oubli est désormais comblé.

P.S. : vous écrivez à propos des enfants que la mère célibataire « en a la garde prioritaire ». Que voulez-vous dire ? Les juges n’ont-ils pas tendance à évoluer dans les choix de garde ?

La réalité, c’est encore que dans bien plus de 80% des cas, ce sont les mères qui obtiennent la garde des enfants. Ensuite, il y a ce que dit le juge, il y a l’entente et l’accord – ou pas – des parents. Et puis il y a la manière dont ces liens évoluent avec le temps, sur fond de pension (si je puis dire) versée ou pas. Mais un nombre important d’enfants voient leur père bien moins d’une fois par semaine. Je donne beaucoup de chiffres dans mon ouvrage, étayant tout cela.

Et j’ai aussi constaté ce que des études antérieures démontraient : un certain nombre de pères « refaisant leur vie » distendaient de facto la relation avec l’enfant de la relation précédente ; certaines des mères quittant le père/géniteur ou étant quitté par lui alors qu’elles sont enceintes, sans avoir pour autant voulu « faire un bébé toute seule ». Mais ce phénomène est statistiquement très marginal ».

P.S. : ces femmes ne sont-elles pas la preuve vivante qu’en matière de parité, il y a encore du chemin à faire ?!

Poser la question, n’est ce pas y répondre d’une certaine manière ? Même en étant salariées, les mères célibataires se retrouvent souvent dans des situations de plus grande précarité. Elles optent (de gré ou par la force des choses) pour le temps partiel et ont des perspectives de carrière plus étroites (comme plusieurs me l’ont dit : « quand l’enfant est malade dans la journée, qui quitte le travail en catastrophe pour l’emmener chez le médecin.. ? »), elles habitent des logements plus petits, sont moins souvent propriétaires, ont moins de temps et de moyens à consacrer à leurs loisirs, ont statistiquement une probabilité plus importante à n’avoir qu’un seul enfant, restant plus longtemps seules… Ce sont des réalités que j’ai constatées en menant cette enquête, et que j’étaye de données chiffrées. Ce qui n’empêche pas d’éprouver bien des joies par ailleurs, offertes par le rapport privilégié entretenu avec l’enfant ou les enfants, et par une éducation plus « ouverte ».

P.S. : 18 % des enfants dont les parents sont séparés perdent tout contact avec leur père après la rupture. Pourtant, vous notez que chez ces mamans seules, « la référence parentale est unique ou presque » : n’est-ce pas en contradiction avec la réalité ?

En effet, il y a ce chiffre, bien plus important encore avec d’autres échantillons fortement précarisés, et qui préoccupe les pouvoirs publics. Mais ce que j’ai constaté aussi, c’est qu’un grand nombre de mères célibataires avaient « dans un petit coin de la tête et du cœur » une représentation très classique de la famille et du bonheur familial. Plusieurs mères m’ont parlé spontanément de la « famille Ricoré » ! En tout cas, la plupart des femmes (sur les 130) ayant répondu à mes questions ont connu physiquement le père de leur(s) enfant(s), l’ont aimé, ont vécu avec lui avant la séparation ; et lorsque la situation de monoparentalité est là, elles éprouvent de nouvelles joies, affrontent des difficultés nouvelles, mais expriment souvent une rancœur (je n’ai pas dit nostalgie), et l’impression d’un échec sentimental, et d’un « ratage » familial.

P.S. : vous décrivez les mères majoritairement en position de victimes « ayant vécu le désamour et croisé l’adultère » ? Les mères seraient-elles des oies blanches ?

Je précise que j’ai collecté un grand nombre de témoignages, assez souvent concordants, ensuite analysés et remis en perspective. Donc je ne décris pas a priori les mères célibataires comme des victimes. Ce dont je prends acte dans ces pages, c’est que si chaque histoire est différente, le scénario est souvent le même : la rencontre, l’amour, la vie à deux, le projet d’enfant puis son arrivée, une expérience de vie familiale plus ou moins longue, puis le désamour sur fond d’adultère, et la séparation, souvent violente (dans les mots et les affects, déjà). Je ne décris pas les mères célibataires comme des « oies blanches ». Mais mon ouvrage prend acte d’évolutions sociales de fond touchant la cellule familiale et donc la parentalité depuis quelques décennies, « trajectoires d’autonomisation », crise du couple, individualisme ; et malgré tout, persistance de schémas familiaux assez traditionnels, qui s’imposent comme des représentations agissantes.

P.S. : le père, l’homme, n’a pas une belle place dans votre livre. Il est souvent présenté comme un « père simple géniteur, un passage obligé vers le statut de mère » pour la femme : un enfant se fait à deux personnes consentantes, non ?

Je ne suis pas tout à fait d’accord ! Ce livre donne la parole – c’est un parti-pris délibéré – aux mères, comme d’autres ouvrages auraient pu l’offrir aux pères, ou aux enfants, ou aux deux parents. Forcément, les mères ayant répondu à mes questions expriment une rancœur, des désillusions, souvent, sans pour autant qu’il faille voir dans ces pages un procès à charge contre les pères. Je parle même, concernant ces pères, « d’absents omniprésents ». Après, il y a des statistiques, que vous évoquiez plus haut, et qui traduisent des états de fait, des tendances lourdes. Mais qu’un enfant se fasse à deux, c’est ce que m’ont dit la quasi-intégralité des mères ayant accepté de témoigner ; ce que toutes ou presque ont fait !

P.S. : vous faites remarquer que ces femmes n’ont pas de temps de se reconstruire, de rencontrer d’autres gens : pourquoi ne pas avoir évoqué la résidence alternée ?

J’affirme à un moment du livre qu’être mère célibataire, c’est se consacrer à un « sacerdoce heureux » ; c’est une image, bien sûr. Mais avant moi, bien des études sociologiques ont pris acte du fait que pendant quelques années, la mère célibataire va prioritairement (je n’ai pas dit exclusivement) consacrer son temps, son argent, son énergie à l’éducation de l’enfant, avant d’envisager une recomposition qui arrivera, ou pas. Ainsi, les témoignages que j’ai recueillis sur la vie sentimentale et sexuelle de bien des mères célibataires sont éloquents ! A l’avenant, le loisir de bien des mères célibataires… c’est leur enfant (ou les loisirs de ceux-ci : promenades, DVD, etc).

Bien sûr, de nouveaux dispositifs – dont la garde alternée - permettent d’avoir « plus de temps à soi », et de manière régulière. Mais encore une fois, les statistiques montrent qu’ils concernent une petite minorité de parents. Et tout cela requiert une organisation sans failles, et une bonne volonté partagée par tous, enfants compris.

P.S. : vous dites que les mamans solos constituent un réseau informel d’entraide, via Internet notamment, mais ne pensez-vous pas que la mixité – caractéristique de Parent-solo.fr – est un véritable « plus » pour éviter de surenchérir dans les conflits homme/femme, et père/mère ?

Je n’ai pas écrit un livre pratique ou un traité de morale, mais j’ai mené une enquête sociologique que j’espère « grand public », puisqu’elle s’adresse aux intéressées. La seule chose que je puis dire, c’est qu’il ne me semble pas bon ni sain d’entretenir, même après un échec conjugal et familial, la « guerre des sexes », ou pire, la « haine du père » (d’ailleurs aussi marginale que passagère). Et peut-être qu’en effet, fréquenter un site mixte comme Parent-solo peut aider à ne pas se murer, mais à s’ouvrir et à échanger, à adopter des regards croisés. Après, chacune(e) fait avec sa sensibilité, sa fibre, ses rencontres, ses préférences ; et puis les gens évoluent, comme les modèles et les mentalités, finalement…

Découvrir « La Guerre des mères. Parcours sensibles de mères célibataires » de Pascal LARDELLIER

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