Vous êtes ici : La documentation de Parent Solo > Dossiers sur la famille > Interviews > Claude Halmos, l'interview, auteur de "L’autorité expliquée aux parents"

Claude Halmos, l'interview, auteur de "L’autorité expliquée aux parents"

Claude HalmosParent-Solo : Vous êtes psychanalyste, spécialiste de l'enfance, collaboratrice de Psychologies Magazine et chroniqueuse sur France Info. Dans votre livre " L'autorité expliquée aux parents " (Editions NIL), Hélène Mathieu, directrice de la rédaction de Psychologies Magazine vous interroge, comme une longue interview. Cette forme d'écriture vous permettait de mieux faire passer votre " combat " ?

Oui, parce qu'Hélène Mathieu m'interview en tant que journaliste mais aussi en tant que mère de famille. Elle représente donc le point de vue des parents en posant les questions que les parents me poseraient et me posent dans mon cabinet. Les gens auraient pu reculer devant un exposé trop théorique, pesant. Là, la théorie y est et le propos devient vivant grâce au dialogue.

P.S. : Votre livre a précèdé, de quelques semaines, la sortie du livre d'Aldo Naouri "Eduquer ses enfants : l'urgence d'aujourd'hui". Deux conceptions opposées de l'éducation : les parents peuvent-ils s'y retrouver ?

Il est extrêmement important que les parents s'y retrouvent. Depuis 15 ans que je travaille dans les médias, j'ai toujours refusé de donner des conseils car je considère que c'est plutôt destructeur. J'essaye toujours d'expliquer aux parents, dans le langage le plus clair possible, des choses qui sont très complexes, qui se passent dans la tête des enfants, des parents, et entre les enfants et les parents. Je pense donc que les parents ont les moyens de comprendre qu'il s'agit d'une autorité différente d'Aldo Naouri. Aldo Naouri revient à l'autoritarisme contre lequel ma génération - et j'en suis fière - s'est battue en 1968. Il revient à une vision de l'enfant considéré comme un être inférieur à l'adulte qui a le droit d'user et d'abuser de son pouvoir sur cet enfant. Aldo Naouri conseille d'arracher les biberons et les tétines à 2 ans sans explication. On crée ainsi un traumatisme, car c'est évident qu'on doit les arrêter, que cela crée un temps de frustration pour l'enfant, mais c'est pour que l'enfant découvre, aidé par sa mère, qu'il y a d'autres plaisirs quand on mange à la cuillère. La frustration n'est que momentanée et c'est l'ouverture à d'autres plaisirs. Surtout, on explique à l'enfant, on ne le soumet pas à cette violence. L'enfant ne peut pas se défendre. En lui ouvrant la porte de l'avenir, on lui permet une promotion qui le soutient dans cette perte de plaisir.

C'est pareil pour les règles. Il y a aujourd'hui une autorité à repenser qui n'est pas l'autorité d'avant 68, mais qui est une autorité post Dolto, c'est-à-dire une autorité qui s'adresse à un enfant considéré comme une personne à part entière, respectable. Mais cet enfant doit apprendre à se soumettre aux règles comme chacun d'entre nous, ce qui est indispensable dans une société civilisée. On respecte les autres, les biens des autres, on peut tout dire mais pas tout faire, on doit travailler pour réussir, la sexualité a ses règles, elle se pratique entre gens consentants, elle est interdite entre gens de la même famille, entre adultes et enfants, etc. Au départ, ce n'est pas naturel, pour l'enfant, qui est dans le pulsionnel, de se soumettre à cela. Il est dans le principe du plaisir, dans un sentiment de toute puissance, il est le roi du monde : comme ce n'est pas compatible avec une vie civilisée, il faut lui apprendre les règles et le pourquoi des règles. Après, on lui impose de les respecter, ce qui signifie que s'il transgresse, on explique une, voire deux fois, puis on sanctionne.

L'autorité, c'est ça : énoncer la règle, expliquer le pourquoi de la règle, imposer à l'enfant de la respecter, avec sanction si besoin. Ce n'est en rien une violence, l'adulte n'abuse pas de son pouvoir.

P.S. : Soit on impose les règles par la contrainte, soit on les explique pour que l'enfant puisse les respecter : avec la première solution, n'est-ce pas un peu un retour en arrière, qui profiterait du " discours politique ambiant " du tout répressif ?

Ce n'est pas " soit ", c'est les deux. Justement, Aldo Naouri part du principe que si on explique, c'est qu'on n'impose pas. Or, ce n'est pas ça. On explique ET on impose. Si on dit à l'enfant " tu ne tapes pas sur ton frère " sans expliquer, l'enfant peut comprendre que c'est parce qu'on aime plus son frère que lui. En lui expliquant simplement, on lui signifie que les humains ne sont pas des animaux. C'est ça qui le structure peu à peu.

Concernant le tout répressif, le discours d'Aldo Naouri est absolument en accord avec ce qui est en train de se passer, notamment au niveau de la remise en cause de la justice des mineurs. Dans mon précédent ouvrage, " Pourquoi l'amour ne suffit pas : Aider l'enfant à se construire ", je reviens sur les origines de la justice des mineurs : il y a quelques siècles, adultes et enfants étaient jugés de la même façon. Peu à peu, on a dégagé la notion de mineur, en même temps que se développaient la psychologie, la psychanalyse, etc. L'enfant qui avait fait une faute était coupable mais aussi victime, car par son acte, il montrait qu'il n'avait pas suffisamment été éduqué, c'est-à-dire qu'on ne lui avait pas imposé les règles. Il fallait donc le punir mais aussi faire le point sur son éducation, son absence d'éducation, et l'aider, avec sa famille, à évoluer sur ce point. C'était la meilleure prévention possible. L'ordonnance de 1945 a mis en place les enquêtes sociales, les tribunaux pour enfants, les juges pour enfants, des peines particulières pour les enfants, un âge en dessous duquel ils ne pouvaient pas avoir les mêmes peines que les adultes, etc.

Aujourd'hui, des mesures commencent à remettre ça en cause, et nous orientent vers le " tout répressif ". La remise en cause de la justice des mineurs constitue un retour des siècles en arrière. Avec le discours : on sanctionne et on n'explique pas, on crée un traumatisme, un vide incomblable et on retourne des siècles en arrière. C'est très grave.

P.S. : " Autorité peut rimer avec aimer et respecter ", selon vous, mais pourquoi l'autorité fait-elle si peur aux parents ?

C'est une très vaste question à laquelle je ne prétends pas répondre dans le livre. On est encore dans l'après 68 où on s'est battu contre l'autoritarisme, qui a laissé l'idée à beaucoup de gens, que l'autorité, c'était l'autoritarisme et que toute autorité était forcément répressive, ce qu'elle n'est pas. Ces gens ne veulent donc pas brimer, alors ça leur fait peur. Et puis, il y a une mauvaise lecture de Françoise Dolto qui fait partie des gens qui m'ont formée, et je me réfèrerai toute ma vie à son enseignement. Françoise Dolto a un message double, elle dit : l'enfant est un être à part entière qu'il faut respecter, mais elle ajoute : c'est un être en construction qui a un besoin vital de l'autorité des adultes pour se construire. Ce qu'elle dit suppose de penser une autorité qui soit compatible avec le respect de l'enfant. Comme c'est difficile, on a laissé tomber une partie du message, notamment la partie sur l'autorité, puisqu'on était post 68. Aujourd'hui, on l'accuse d'avoir favorisé les enfants roi, alors que c'est le contraire même de son enseignement.

P.S. : Le discours de Françoise Dolto est selon vous mis à mal puisqu'on ne retient que l'idée de " l'enfant roi ". Quels étaient ses propos sur l'autorité ?

La lecture du livre de Françoise Dolto, L'image inconsciente du corps, montre qu'elle préconise de mettre des limites à tous les stades du développement de l'enfant. On est dans une espèce d'errance entre une dérive de 68 et une mauvaise lecture de Françoise Dolto, ce qui donne des parents désemparés : si leur enfant est une personne à part entière, de quel droit lui imposeraient-ils ou lui interdiraient-ils quelque chose ? Les parents se demandent s'ils ne lui contestent pas sa place de sujet. Mais en fait, non. C'est un sujet en construction et aimer un enfant c'est lui donner toutes les armes possibles pour qu'il puisse devenir un adulte capable de vivre heureux dans la société des autres et de vivre sans qu'on ait besoin de lui tenir la main. Donc, on lui met des limites pour qu'il les intègre.

En n'expliquant pas à un enfant, comme le préconise Aldo Naouri, on est dans le pur rapport de force, on le dresse. Or, le but de l'éducation, ce n'est pas le dressage, mais que l'enfant comprenne l'intérêt des règles pour se les appliquer à lui-même tout seul. C'est ça l'éducation réussie : un enfant qui est civilisé sans que ses parents soient derrière. L'enfant qui a une peur panique de perdre l'amour de ses parents fait tout comme un chien bien dressé, mais le jour où les parents ne sont plus là, c'est terminé.

P.S. : Tous les parents sont-ils égaux face à l'éducation, car il arrive que les parents se sentent " incompétents " et soient tentés de jeter l'éponge, notamment lorsqu'on est seul à assumer, regrettant de ne pas avoir une " autorité naturelle " ?

Je pense que tous les parents sont compétents et qu'ils ne sont ni laxistes, ni démissionnaires, comme on entend ici ou là. Ils sont perdus pour certains d'entre eux. Il y en a qui ont eu une histoire plus difficile que d'autres (s'ils n'ont pas eu, eux-mêmes, les repères par leurs parents, c'est difficile de les transmettre). Je crois surtout qu'on n'explique pas assez aux parents la nécessité de l'éducation qui est vitale. Si on leur expliquait, ils sentiraient une légitimité à intervenir.

J'explique, dans mon livre, que l'autorité naturelle n'existe pas car ce qui donne de l'autorité à un parent, c'est la certitude que ce qu'il demande à son enfant, c'est vital pour lui. Par exemple, quand l'enfant doit prendre un médicament et qu'il refuse en se roulant par terre, le parent parvient finalement à lui donner, à faire preuve d'autorité, car il est convaincu de la justesse de ce qu'il fait. Donc si on expliquait aux parents que l'éducation et l'autorité sont vitales, beaucoup plus de parents feraient ce qu'il faut.

P.S. : Vous écrivez qu'un " univers sans limites est la chose la plus angoissante du monde " : cela peut surprendre ? Oui à la sanction, non à la négociation ?

Oui, parce que je pense qu'il y a des choses qu'on peut négocier avec un adolescent, comme par exemple un retour à 23 h au lieu de 22 h 30, ou concernant des détails, mais sur des interdits fondamentaux, on ne négocie pas. On arrive à l'heure à l'école parce que demain on devra arriver à l'heure au travail, on ne tape pas sur les autres, on n'a pas de jeux sexuels avec sa sœur ou son frère parce que c'est l'interdit de l'inceste, etc. Il y a des choses qu'on ne négocie pas. Si un interdit a du sens, il n'est pas négociable, sinon l'enfant ne peut pas s'y retrouver. Tout ne se négocie pas dans la vie.

P.S. : Le " devoir d'éducation oblige souvent le parent à se priver du bonheur de l'instant " : c'est particulièrement flagrant chez les parents solos qui n'ont qu'un droit de visite et d'hébergement qu'ils ne veulent pas gâcher par des conflits : comment gérer, alors, pour eux ?

Parent, c'est beaucoup de joie, mais c'est un boulot. Des fois, on aimerait bien être copains, mais on ne peut pas. Quand la vie fait qu'il y a séparation, si on veut faire son boulot de parent, il est vrai que c'est encore plus dur. Les parents ont l'impression qu'ils doivent faire la police tout le temps. Non. Il y a des interdits, mais une fois qu'on a eu l'épreuve de force avec l'enfant, même si l'enfant va tenter de vérifier qu'elle tient, on ne l'a pas cinquante fois. Si on doit remettre l'ouvrage cinquante fois, c'est qu'on n'a pas été assez ferme. Si l'enfant a compris une fois pour toute qu'on ne cèderait pas, ça ne recommence pas. Quand on est parent solo, l'enfant se dit : je ne le vois pas souvent, il va bien me laisser passer ça, et il en joue. Mais il faut tenir bon : si tu as envie de gâcher le week-end qu'on passe ensemble, tu le gâches, je trouve ça déplorable mais je ne te cèderai pas parce que je t'aime. Et parce que je t'aime, je ne veux pas que tu deviennes une personne incapable de vivre avec les autres.

P.S. : Au débat sur la gifle et la fessée, vous opposez la violence de l'absence d'éducation que vous jugez plus grave. Finalement, n'oublierait-on pas trop souvent le bon sens, simplement ?

Aldo Naouri qui est contre toute forme de gifle ou fessée, c'est de l'hypocrisie totale, du politiquement correct, puisque son livre est tissé de violence contre l'enfant. Je ne dis pas qu'il faut donner des fessées, je dis que la fessée n'est jamais anodine parce que c'est un rapport de pouvoir entre l'enfant et l'adulte qui est disproportionné, parce que ça touche au corps et que ça peut être érotisé y compris pour l'enfant. Il n'y a pas la gifle ou la fessée, il y a une gifle ou une fessée particulière dans un contexte particulier entre un enfant et un adulte particulier, à un moment donné. On ne peut absolument pas la prôner comme méthode d'éducation, ce serait monstrueux, mais on ne peut pas non plus la diaboliser. Un parent, un jour excédé par le comportement de son enfant, qui lui donne une fessée, n'est pas un parent maltraitant. Il peut d'ailleurs s'en expliquer avec l'enfant.

On me dit souvent que mes propos relèvent du " bon sens ". En fait, ce sont surtout des choses qui " ont du sens ", car " bon sens " s'apparente à l'évidence, alors que ça ne doit pas l'être tant que ça puisque je suis pratiquement la seule qui le dit ou qui se bat pour le faire entendre !

P.S. : Sur notre site, www.parent-solo.fr, beaucoup de questionnements sur l'éducation reviennent : l''éducation réussie est-elle possible en famille monoparentale, puisque les deux parents ne sont pas présents simultanément ?

Bien sûr, car si le père (ce sont majoritairement les mères qui ont la garde) n'est pas là, on peut en parler. Ce qui est important, c'est que l'enfant comprenne que ce que lui demande sa mère n'est pas une fantaisie, mais ce que n'importe quel parent demande à ses enfants lorsque ce parent est responsable et souhaite que son enfant aille quelque part dans la vie. L'enfant doit aussi comprendre que sa mère a des soutiens. Elle peut se référer au père ou, en l'absence du père, à quelqu'un de la famille ou autre qui va l'aider à élever l'enfant. L'enfant doit comprendre qu'on n'est pas deux dans la vie, mais trois, ce qui lui permet après de comprendre le rôle de la justice, police, etc. Mais, bien sûr que l'éducation réussie est possible en famille monoparentale.

Découvrir " L'autorité expliquée aux parents " de Claude HALMOS

Partager cette page sur les réseaux sociaux

Poster un commentaire

Pseudo ou Prénom (obligatoire)

E-mail (obligatoire)

Commentaire

Code de sécurité à copier/coller : YY5hqi

Recevoir une notification par e-mail lorsqu'une réponse est postée

Dossiers similaires