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Aldo Naouri, l'interview de l'auteur de "Eduquer ses enfants, l'urgence d'aujourd'hui"

Aldo NaouriParent-Solo : Vous êtes pédiatre formé à la psychanalyse, et auteur de nombreux livres, tous d'immenses succès. Dans votre livre " Eduquer ses enfants, l'urgence d'aujourd'hui " (Editions Odile Jacob), vous rappelez que " l'enseignement des règles exigées par la vie en société et qui assureront à l'enfant un destin de la meilleure qualité possible revient à ses parents ". Cela a été tant oublié ?

Aldo Naouri : Ça vous étonnera peut-être, mais je dirai que oui : cela a été oublié, et dans une large frange de la population. Combien de fois ne m'est-il pas arrivé, quand j'incitais des parents à ne pas céder aux caprices de leurs enfants, de les entendre me répondre : " Il va bientôt rentrer à l'école, il ne pourra plus en faire à sa tête, et tout ça va changer ". Je pense que l'intitulé de l'institution qui chapeaute l'école, l'Éducation nationale, n'est pas sans créer parfois la confusion. Si je m'exprime comme je le fais, c'est afin de faire comprendre que pour délivrer le savoir - ce qui est tout de même l'essentiel de sa tâche, même si elle parachève tout de même l'éducation de base - l'école demande à l'enfant beaucoup d'efforts. Or, rien ne peut mieux le préparer à en fournir que l'éducation qu'il aura reçue de ses parents.

P.S. : Votre livre est sorti pratiquement en même temps que celui de Claude Halmos "L'autorité expliquée aux parents", et pourtant ils révèlent deux conceptions de l'éducation qui s'affrontent : les parents peuvent-ils s'y retrouver ?

A.N. : Je ne crois pas qu'il s'agisse de " conceptions " de l'éducation, mais plutôt de " styles ". Les parents se feront leur propre opinion et choisiront après tout ce qui paraîtra leur convenir. Je regretterais évidemment que certains se détournent de mon propos dans la mesure où je montre et je démontre que la relation qui s'instaure entre les parents et leurs enfants doit absolument être verticale. C'est en s'instaurant sur ce mode et non pas sur le mode partenarial horizontal, qu'elle peut rassurer les enfants et les aider à renoncer à l'exercice épuisant et stérile de leur illusoire et toxique toute puissance infantile. Les enfants sont comme nous-mêmes dans un avion : nous sommes rassurés de savoir qu'il y ait un pilote.et nous serions très angoissés s'il en venait à nous expliquer toutes les décisions qu'il prend.

P.S. : Pour vous, les règles doivent être imposées sans autre explication que la hiérarchie parent-enfant qui prévaut : n'est-ce pas en contradiction avec l'environnement sociétal actuel ?

A.N. : Notre environnement sociétal instaure des rapports entre adultes, censés être construits, avoir des moyens à peu près identiques, être égaux en droits et situés de ce fait dans une relation horizontale parfaitement légitime. À cet égard, nous avons récemment vécu une expérience qui peut faire comprendre ce que je dis : notre nouveau Président s'est comporté comme chacun de nous, n'hésitant pas à parler de ses déboires conjugaux, de sa vie amoureuse, à entretenir des altercations avec les uns et les autres en usant de notre vocabulaire ; et que s'est-il passé ? On l'a rappelé à l'ordre en lui disant qu'il ne pouvait pas agir ainsi, qu'il devait occuper sa place, autrement dit se situer nettement au dessus de nous, dans une relation verticale et non pas horizontale. Pourquoi ? Parce que ça nous angoissait, ça ne le " posait " pas assez. Il faut imaginer sur fond de cette évocation, ce que peut alors être l'angoisse d'un enfant démuni de tout moyen et avec lequel on échange comme avec un égal ! Il n'y a donc pas de contradiction à adhérer à des options sociétales profondément égalitaires et considérer que la relation parents-enfants doit être verticale pour être rassurante. Voilà qui, bien évidemment en appelle à la responsabilité des parents. Mon expérience professionnelle m'a montré qu'ils ne demandent qu'à l'assumer dès lors qu'on ne leur sert pas la " soupe toxique " de l'enfant génial et merveilleux qui saurait tout sur tout et par avance !

P.S. : Vous enfoncez le clou : " Un ordre est un ordre. Point. (…) Un ordre n'a pas à être expliqué, il a à être exécuté ". Comment expliquez-vous et analysez-vous les nombreuses réactions hostiles à ces propos qu'on a pu lire ici ou là ?

A.N. : Un ordre n'a pas à être expliqué pour une raison simple, c'est que l'enfant va en trouver seul sa propre explication et elle lui conviendra bien mieux que celle qu'on cherche par avance à lui donner. S'il ne trouve pas cette explication et qu'il la demande on la lui donnera. Mais partons du simple fait que l'ordre, pour un enfant, est toujours contraignant et ne s'inscrit pas dans le registre du plaisir qui est le seul qui lui importe. Il en concevra, à l'endroit de celui qui le donne, un certain ressentiment. Il faut lui laisser vivre ce ressentiment sans s'en laisser atteindre. C'est ainsi qu'on le respecte et qu'on respecte sa liberté de perception et d'expression. Une attitude contraire revient à l'inviter à renoncer à cette liberté et, au nom de la compréhension que lui apporterait l'explication, non seulement ne pas avoir de ressentiment, mais aimer de surcroît l'auteur de l'ordre. C'est une manière de faire qui me semble procéder d'un sadisme rampant redoutable.

Pour ce qui est des critiques et des réactions hostiles, je dirais d'abord qu'elles sont très rares et strictement négligeables par rapport à l'énorme courrier d'approbation et de remerciements que je reçois. Quand elles viennent des parents, elles sont le fait de personnes qui n'ont pas renoncé à la séduction. Quand elles viennent de certains journalistes, il est facile d'en constater le versant idéologique parce qu'il et évident qu'ils n'ont généralement pas même pris la peine de lire mon livre. La seule critique de professionnel que j'ai reçue - elle se perd elle aussi au milieu de la quantité de messages de félicitation - vient de Claude Halmos et j'y ai répondu dans le débat qui a été publié par Psychologie.

P.S. : Vous repoussez également toute idée de " séduction " entre parents et enfants qui est " la pire maltraitance qu'on puisse infliger à un enfant ", " le contraire d'éduquer " : pouvez-vous nous expliquer brièvement pourquoi ?

A.N. : J'ai longuement traité de ce point dans mon ouvrage et les formules que vous citez sont la conclusion de ces explications. La " séduction " parentale installe pour très longtemps le petit humain dans le scénario totalement faux qu'il se forge pour appréhender le monde à la fin de sa première année : il en arrive en effet, à cet âge-là, à la conclusion que sa mère peut le tuer !! E il décide de déployer contre cette menace sa propre toute puissance. Si cette dernière, et son partenaire, se mettent à son total service et font ses quatre volontés, ils l'ancrent dans ses conclusions et ne l'aident en aucune manière à revenir sur son erreur. Ils obtiennent la paix sur le champ mais condamnent cet enfant à ne jamais se débarrasser de cette toute puissance qu'on verra ressurgir à l'adolescence et parasiter même le comportement adulte. On peut transposer la situation à notre statut d'adulte : si j'imagine que ma femme me trompe et que je lui fais part de mes doutes, de deux choses l'une : ou elle m'envoie balader en hurlant contre mes accusations ou elle ne cesse plus de se comporter sans relâche le plus amoureusement du monde avec moi. Sa première attitude me conduit à revoir mon opinion, sa seconde ne ferait que renforcer mes doutes.

P.S. : Au débat sur la gifle et la fessée, vous condamnez les châtiments physiques sans nuance qui ne se justifient en aucune façon. Cela peut sembler presque en opposition avec vos propos très durs " d'élever ses enfants sur un mode dictatorial " ?

A.N. : La fermeté et l'autorité sereine ne nécessitent jamais l'usage des châtiments physiques. Ces derniers, comme l'autoritarisme au demeurant, sont l'apanage des personnes faibles qui ne savent pas assumer leurs responsabilités. " Élever ses enfants sur le mode dictatorial " est une métaphore qui revient à souligner l'importance du but que poursuit une éducation : permettre à un enfant de redresser l'erreur du scénario qu'il se forge à la fin de la première année et se débarrasser de la toute puissance infantile dont il croit devoir faire usage pour le restant de ses jours. Un dictateur c'est quoi, c'est un individu qui veut au mépris de la volonté de ses semblables les soumettre à lui, exactement comme le veut l'enfant du petit âge. Un enfant débarrassé de son illusoire toute puissance deviendra un adulte de qualité qui cultivera l'idéal démocratique.

P.S. : Selon vous, la fonction de mère a une importance primordiale et ne peut jamais être retirée. En cas de divorce, le père conserverait son rôle de géniteur et de père social, mais perdrait son rôle de " père fonctionnel " ? Vous allez faire hurler beaucoup de papas solos qui fréquentent notre site…

A.N. : J'espère que non et je vous remercie de me poser cette question qui me permet de m'adresser directement à eux. Le père fonctionnel dont je parle, c'est le père qui régule, dans la construction de la psyché de l'enfant, l'action de la mère de cet enfant. Non pas en intervenant sur l'enfant mais sur les attitudes et les dispositions de la mère. Il lui faut, pour cela, se faire entendre d'elle. Or, s'il y a une personne qui sait ce qu'il en est de la surdité potentielle d'une mère, c'est précisément le père de l'enfant qui a quitté cette mère. Si elle lui avait prêté une oreille attentive, ils ne se seraient sans doute pas séparés. On sait par ailleurs que l'enfant a une sensibilité spécifique très grande à l'endroit des pensées de sa mère, qu'il devine littéralement. Le père séparé n'a plus les moyens d'intervenir sur la relation de la mère à son enfant. S'il est soucieux du devenir et de la bonne construction psychique de son enfant, il ne peut souhaiter qu'une chose : c'est qu'il se trouve quelqu'un capable d'exercer auprès de la mère la fonction qu'il ne peut plus exercer. L'occasion la plus fréquente se présente quand la mère refait sa vie avec un autre homme. S'il a dépassé ses ressentiments, le père de l'enfant peut alors rencontrer ce nouvel homme de la mère en présence de l'enfant et dire à ce dernier qu'il le confie à cet homme qui le remplace pour tout ce qui se passe à la maison. Cela ne permettra plus à la mère de jouer les deux hommes l'un contre l'autre pour garder la haute main sur son enfant. E cela n'empêchera pas le père géniteur de l'enfant de continuer d'entretenir des liens affectifs forts avec lui.

P.S. : L'institution familiale est-elle condamnée ou allons-nous vers des nouvelles formes de familles, qui s'adaptent à l'évolution de la société ?

A.N. : je ne saurais pas le dire. Nous sommes dans une phase de mutation et nos sociétés sont prises dans des mouvements de balancier violents. Je pense qu'assez longtemps encore on va voir cohabiter toutes sortes de cas de figure au sein desquels l'institution familiale persistera néanmoins.

P.S. : Vous craignez les sites internet à venir qui pourraient être " consacrés aux conseils dispensés aux parents ". Sur notre site, www.parent-solo.fr, pas de conseils bien sûr, mais beaucoup de questionnements sur l'éducation reviennent : peut-on réussir (ou pas trop la rater) l'éducation des enfants en famille monoparentale ?

A.N. : On peut parfaitement réussir l'éducation des enfants en famille monoparentale. Je n'en doute pas un seul instant. Et ce d'autant mieux, quand les circonstances se présenteront, qu'on aura avec l'enfant des conversations où on s'engagera à répondre du mieux possible à toutes les questions qu'il posera sur son histoire.

Découvrir " Eduquer ses enfants, l'urgence d'aujourd'hui " de Aldo NAOURI

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