Interview de Anne Laure Gannac et Yolande Gannac-Mayanobe, auteurs de "Divorce, Les enfants parlent
Anne Laure Gannac, vous êtes journaliste au magazine Psychologies, et Yolande Gannac-Mayanobe, vous êtes psychologue clinicienne. Avec "Divorce, les enfants parlent aux parents", qui sort le 22 février 2008, vous tentez de proposer un accompagnement aux personnes qui doivent affronter le cap de la séparation. Vos motivations étaient forcément différentes. Quelles étaient-elles ?
Anne Laure Gannac : Nous pensons - souvent à juste titre - que les enfants n'ont pas à donner leur avis sur ce qui est d'abord une histoire d'amour entre adultes qui se termine. Mais c'est oublier qu'ils sont directement touchés par les effets familiaux de cette crise de couple. En leur proposant de confier leur expérience, l'objectif était de donner un autre point de vue du divorce. Il ne s'agit en aucun cas de culpabiliser les parents -ils y arrivent seuls!- mais plutôt de leur faire entendre une parole qui peut les aider à comprendre ce qui se passe dans la tête de leur enfant qui, souvent, n'ose pas leur expliquer directement ce qu'il ressent.
Yolande Gannac-Mayanobe : Sans commentaires, les témoignages n'avaient qu'une valeur informative ; l'abord psychologique a pour but d'aller au-delà d'un simple état des lieux. La diversité des cas retenus a permis d'aborder des situations très différentes. En tant que psychologue, j'ai trouvé intéressant et judicieux de décrypter des cas concrets, de donner des pistes de réflexion et des conseils aux personnes confrontées à la séparation. Cette fonction d'accompagnement est l'essentiel de la tâche du psychologue.
Vous a-t-il été facile de trouver les témoignages d'enfants de parents séparés et d'obtenir l'accord des parents ?
A.L.G : Trouver des enfants concernés est évidemment très simple. Il suffit de regarder autour de soi. Pour les plus jeunes, convaincre les parents n'a pas non plus été très compliqué. Au contraire, la plupart était enthousiaste à l'idée que leur enfant puisse enfin! avoir l'occasion de parler sur ce sujet qu'ils avaient très peu -voire pas- abordé ensemble. Beaucoup pensaient que cela pourrait faire du bien à leur enfant d'en parler à un tiers. C'est convaincre les enfants qui a été plus difficile, tout simplement parce qu'ils ont peur de blesser leurs parents ou de semer un peu plus la pagaille dans leur famille déjà divisée.
Vous a-t-il semblé que c'était douloureux d'en parler pour eux ou que c'était " libérateur " ?
A.L.G : Quand la souffrance apparaît, c'est plutôt en filigrane, dans les mots, les expressions. Beaucoup s'en défendaient : " ça ne me fait rien d'en parler "... Mais de manière générale, oui, il m'a semblé que ces confidences étaient libératrices. Certains me l'ont clairement dit, les adultes surtout, qui n'avaient pas eu l'occasion d'aborder ce sujet en profondeur depuis des années, voire jamais. J'ai entendu plusieurs fois : " je ne pensais pas que ça me ferait autant de bien d'en parler ".
Chaque divorce ou séparation est différents : finalement, il n'y a pas de " règles " pour les appréhender ?
Y.G-M : Même si chaque divorce ou séparation reste singulier, on peut tirer quelques " règles " communes pour les appréhender ; en premier lieu, rassurer les enfants en insistant bien sur le fait qu'ils ne sont absolument pas responsables du divorce et que les parents restent des parents responsables même s'ils sont séparés ; ne pas évoquer devant eux les problèmes intimes du couple, notamment sur le plan sexuel...
L'intérêt de l'enfant est ce qui doit prévaloir, notamment lorsque le juge tranche. N'avez-vous pas le sentiment que les enfants se retrouvent trop souvent pris en otage entre les parents ?
Y.G-M : Il arrive que l'enfant soit une sorte de monnaie d'échange entre les parents ; en fait, il est utilisé pour faire souffrir l'autre parent ; cette situation n'est pas rare et même lorsqu'elle n'est pas aussi dramatique, l'enfant a toujours plus ou moins le sentiment d'être une balle de ping- pong entre ses deux parents.
A travers les témoignages de votre livre, je remarque qu'ils en ont conscience, parfois peut-être plus que les parents eux-mêmes. Est-ce cela qui marque le plus ?
Y.G-M : L'enfant se retrouve au cœur du divorce ; il comprend qu'il va devoir" jongler " entre son père et sa mère ; même très jeune, il apprend à dire ce qu'il faut pour ne pas générer de disputes, ou au contraire pour retirer des avantages de la situation. D'otage, il peut devenir manipulateur.
A la lecture des vécus de certains, il apparaît que la famille recomposée soulève encore d'autres problèmes, notamment en matière d'autorité. Avez-vous des conseils à donner pour que cette " recomposition " fonctionne pour tous ?
Y.G-M : Dans la famille recomposée, les problèmes d'autorité sont plus aigus encore notamment au moment de l'adolescence. Pour que cela fonctionne, il est absolument nécessaire de poser clairement qui a autorité sur qui et dans quel domaine ; par exemple, qui décide si le jeune peut sortir en boîte ; est-ce seulement le parent chez qui il vit ? Est-ce son beau-père ? Ces questions doivent être abordées dans le calme entre adultes ; les règles concernant l'autorité doivent être stables et cohérentes, et non soumises à discussion à la moindre occasion.
Parler aux enfants, leur demander leur avis sur certains points : jusqu'où doit-on les intégrer et les intéresser à la séparation ?
Y.G-M : Les enfants donnent leur avis sur les projets qui les concernent eux exclusivement. En fonction de leur âge, ils pourront par exemple demander à vivre chez l'un ou l'autre parent. Il n'est pas souhaitable de les intéresser à la séparation, et de leur donner trop d'explications et de justifications que de toute façon, ils n'entendront pas.
L'un des témoignages " montre qu'un couple peut fonctionner sur le mode parental même s'il échoue sur le plan amoureux ". Pourquoi n'est-ce pas plus fréquent, entre gens adultes ?
Y.G-M : Si les deux parents sont tous deux disposés à se séparer, s'il n'y a aucune rancœur entre les deux, il est assez facile de fonctionner sereinement sur le mode parental. Mais quand l'un des deux est encore amoureux ou a des griefs contre l'autre, il lui est difficile voire impossible de se montrer complaisant vis-à-vis de l'autre. C'est très compliqué de surmonter les sentiments et de fonctionner de manière objective et raisonnable. Voilà pourquoi le fonctionnement idéal du couple parental qui n'est plus amoureux n'est pas si fréquent et il faut souvent du temps pour en arriver là.
Bien qu'une famille avec enfant sur 5 soit aujourd'hui monoparentale, comment expliquez vous que " le divorce reste une anormalité " dans notre société et aux yeux des enfants concernés ?
Y.G-M : Le divorce s'est banalisé mais l'idéal de la famille unie reste le but, l'objectif de tous les enfants, même quand ils deviennent adultes à leur tour. La famille représente la sécurité, le cocon au sein duquel l'enfant a une relation triangulée avec son père et sa mère ; il se sent au cœur de cet ensemble. C'est normal qu'il veuille en même temps son papa et sa maman. Donc la séparation est vécue comme " anormale ".
Vous semble-t-il que la transformation de la famille qui se dessine, avec l'accroissement des familles monoparentales, préoccupe réellement les acteurs politiques au sens noble, ou intéresse les médias ?
Y.G-M : Les politiques n'apportent que des réponses financières aux questions soulevées par le divorce. Il existe des aides matérielles pour les parents isolés. Mais sur le plan psychologique aucun soutien réel n'est mis en place ; sur le plan de l'organisation de l'habitat par exemple, il y aurait beaucoup à faire pour faciliter la vie des familles éclatées. Et il y a aussi un réel besoin de faire évoluer la loi sur le nom de famille pour que les enfants se situent facilement au sein de leur propre famille. Il y a urgence à modifier des lois inadaptées au nouveau mode de vie.
Les médias qui s'empareront des vrais problèmes liés à la transformation de la famille ouvriront la voie à des réformes qui s'imposent. Actuellement, les médias se contentent de constater les faits.
L'intérêt que suscite le site www.parent-solo.fr auprès des internautes vous surprend-t-il ?
Y.G-M : Le site parent-solo cible tout à fait les familles monoparentales (des mères le plus souvent), leur apporte des réponses pratiques et leur propose des thématiques intéressantes. Son succès est normal parce que, malgré sa banalisation, ce type de situation est source de questionnements, de problèmes. Tout simplement parce qu'elle plus souvent subie que voulue.
Le forum montre bien le besoin de partager et d'échanger avec d'autres qui sont dans le même cas.
Découvrir le livre : Divorce, Les enfants parlent aux parents de A.L. Gannac et Y. Gannac-Mayanobe (Editions Anne Carrière)
Poster un commentaire
Dossiers similaires
- Interview de Gilles Séraphin, auteur de "Comprendre la politique familiale" Parent-Solo : Vous êtes sociologue, directeur de l'Observatoire national de l'enfance en danger (Oned) et rédacteur en chef de la revue scientifique "Recherches Familiales". Vous publiez un...
- Yvane Wiart, auteur de L'attachement, un instinct oublié Parent-Solo : Vous êtes docteur en psychologie, psychologue de la santé, et chercheur au laboratoire de psychologie clinique et de psychopathologie de l'Université Paris Descartes.. Dans votre...
- Evelyne Sullerot : Interview de la sociologue et co-fondatrice du Planning Familial Parent-Solo : Evelyne Sullerot, vous êtes sociologue, co-fondatrice du Planning Familial, et dans votre livre, co-écrit avec Michel Godet, membre du Haut Conseil de la Population et de la Famille,...
- Interview de François de Singly, auteur de "Séparée - Vivre l'expérience de la rupture" Parent-Solo : Vous êtes sociologue, professeur à l’Université Paris Descartes et directeur du CERLIS (CNRS). Vous avez écrit de nombreux ouvrages sur le couple et la famille, dont le dernier...
- Interview de Sylvie Gonzalez-Runco, auteur du roman "Petite mort" Votre roman, "Petite mort", sorti fin 2005, raconte la séparation de Marie et Pierre. Il l’a quitte, elle se retrouve seule avec son cœur brisé dont elle doit recoller les morceaux. Est-ce une...
- Interview de Marie-Luce Iovane-Chesneau, fondatrice du Club des Marâtres Vous avez créé le Club des Marâtres, en 2004, et vous en êtes la Présidente actuelle. Quelle est l'origine de ce club et d'où vient ce nom un peu rugueux de « marâtre » ?ML.IC - Marâtre de...