Vive la rentrée pour les beaux-parents ! par le psychiatre Serge Hefez
Psychiatre et psychanalyste, Serge Hefez est responsable de l'unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière à Paris.
Il dirige également ESPAS (Espace social et psychologique d'aide aux personnes touchées par le sida) et intervient comme expert à l'Institut national pour l'éducation à la santé et sur les problématiques liées à la toxicomanie.
Il est l’auteur de plusieurs livres, notamment La Danse du couple, Quand la famille s'emmêle, Un écran de fumée, le cannabis dans la famille, Scènes de la vie conjugale, Dans le coeur des hommes.
Si le temps fut plutôt morose au cours de ce mois d’août, les événements interpellant la psychiatrie, du statut des pédophiles au procès du meurtrier de Pau, ont fleuri tous les jours !
La plupart ont interrogé les relations de la psychiatrie à la justice. Quel avenir pour les pédophiles multirécidivistes ? Centre psychiatrique spécialisé fermé, prison à vie, castration chimique ou pourquoi pas une vraie prise en charge psychologique dès l’incarcération telles qu’elles se pratiquent avec un succès honorable au Canada ?
Francis Evrard, le pédophile de Roubaix, s’est inscrit dans un hallucinant feuilleton médiatique qui a permis à notre frétillant président de multiplier les déclarations tous azimuts et d’asseoir son image de pourfendeur de la dangerosité hexagonale. Va pour des centres fermés, mais avec quels moyens et dans quel but, personne n’a l’air de le savoir précisément.
Faut-il juger un schizophrène assassin ? La discipline psychiatrique est née à la fin du XIXe siècle de la nécessité d’établir la responsabilité pénale de nos concitoyens. Le non-lieu prononcé à l’encontre de Romain Dupuy, auteur présumé du double meurtre d’une infirmière et d’une aide-soignante de l’hôpital psychiatrique de Pau (rappelez-vous qu’une d’elles avait été décapitée et l’autre égorgée) bouleverse l’opinion. C’est l’occasion de nouvelles déclarations tonitruantes : pourquoi ne pas organiser un procès, même en cas d’irresponsabilité pénale, afin de faciliter le «travail de deuil»… Curieux procès dont on connaîtrait à l’avance les conclusions et qui accentuerait un processus victimaire dont nous faisons de plus en plus les frais ! Nous aurons l’occasion de revenir sur ces événements et de décrypter ces propositions.
Il est une autre intention présidentielle qui interpelle le lien de la psychologie à la justice. Elle est certes plus discrète, mais elle concerne un grand nombre d’entre nous : Nicolas Sarkozy, qui a inauguré avec glamour l’entrée d’une famille recomposée à l’Elysée, a rédigé durant l’été une lettre de mission par laquelle le ministre de la Solidarité, Xavier Bertrand, est chargé, en lien avec la ministre de la Justice, Rachida Dati, de créer un «statut» pour le beau-parent.
Prenons l’exemple de Tim, un de mes jeunes patients de 14 ans, que je viens de retrouver après les vacances. Ses parents se sont séparés avant sa naissance. Il est toutefois reconnu par son père, Benoît, dont il porte le nom. Cet homme, cinéaste et grand reporter, passe sa vie à bourlinguer et, s’il adore son fils, n’a pas particulièrement la fibre papa poule : il peut passer des mois en Laponie ou en Amazonie sans pratiquement donner de nouvelles. Dans les mois qui ont suivi sa naissance, Laura, la mère de Tim s’est mise en ménage avec François. Deux ans plus tard, naissance de Mathilde. François s’occupe des deux enfants avec amour, et ne marque aucune différence entre sa fille et son «beau-fils». Benoît vient quand il veut et prend parfois son fils pendant les vacances.
Après huit années de vie commune le couple se sépare dans les cris et les douleurs : Laura est tombée éperdument amoureuse de Pierre, de vingt ans son aîné, avec qui elle décide de «faire sa vie». Pierre a une fille de 22 ans d’un premier mariage et un fils d’une deuxième union, Thomas, qui a presque au jour près le même âge que Tim. (J’espère que vous suivez, car ces histoires sont aujourd’hui de plus en plus banales…).
Tim et Thomas s’entendent à merveille, se donnent du «mon frère» à tire larigot, la grande sœur joue les mamans auxiliaires et la famille se recompose avec bonheur. Tim passe un week-end sur deux chez François avec Mathilde (ou plus exactement chez la mère de celui-ci, une «belle-grand-mère» très investie par le jeune garçon), un week-end par-ci par-là avec son père et le reste du temps avec sa mère, Pierre et Thomas.
Avant les grandes vacances, le drame a éclaté. Pour les quinze premiers jours d’août, Benoît rêve d’emmener son petit ado vers une contrée lointaine où il va filmer ; François a loué sur la côte une villa avec sa mère, et «il est hors de question que Mathilde soit séparée de son grand frère pour les vacances» ; Laura et Pierre, dont les rapports commencent à être tendus, comptent sur les deux garçons pour égayer un séjour prévu en Grèce…
Le ton monte entre les différents protagonistes, Benoît fait valoir ses prérogatives de «vrai» père qui a si peu d’occasions de voir son fils, François menace d’un procès pour faire reconnaître ses droits de beau-parent, Thomas menace de fuguer si son frère n’est pas là pendant les vacances, le couple Laura/Pierre se déchire à qui mieux mieux.
Quant à Tim, il aime tout le monde, il rêve de contenter tout un chacun et écartelé dans la tourmente d’un indécidable conflit de loyauté, supplie qu’on ne lui demande surtout pas son avis…. Autant vous dire que j’ai du boulot avec ce garçon pour l’aider à savoir ce qu’il souhaite et surtout qui il est. Et cette situation est loin d’être une des plus complexes dont je m’occupe actuellement…
Bonjour, donc, à la mission «quel statut pour le beau-parent». La juriste Marcela Iacub prônait avec humour il y a quelques temps dans les colonnes de Libération, l’instauration de pique-niques pluriparentaux pour concilier tous ces adultes dans l’allégresse.
Comment protéger juridiquement les liens affectifs entre les enfants et les adultes qui s’en occupent ? Comment éviter la «concurrence» entre adultes, dont on sait qu’elle est toujours néfaste pour l’enfant. La délicate question du rôle et des droits des parents se pose avec acuité depuis que divorces et recompositions familiales se banalisent. Selon les derniers chiffres Insee (et ils datent de 1999 !), plus de 1,6 millions d’enfants vivent dans une famille recomposée, sans compter les familles monoparentales encore plus nombreuses.
Aujourd'hui, hormis l'adoption simple ou la délégation de l'autorité parentale, rendue possible au bénéfice d'un beau-parent depuis la loi de mars 2002 mais peu pratiquée, le beau-parent n'a aucun droit sur l'enfant du conjoint, même s'il s'est investi pendant des années dans son éducation et ses soins. En cas de séparation d'avec le parent biologique, il ne peut être assuré de garder un quelconque lien avec l'enfant.
C'est au nom de cette «insécurité juridique» que la Défenseure des enfants, Dominique Versini, qui dispose d'une autorité indépendante en France depuis 2000 pour défendre et promouvoir les droits de l'enfant, prône un «statut du tiers» dans son rapport de novembre 2006 en créant un «mandat d'éducation» ponctuel pour les actes liés à la scolarité ou la santé.
Au-delà, par convention homologuée par le juge, un des parents pourrait partager l'exercice de son autorité parentale, sauf pour les actes graves qui nécessiteraient l'accord de l'autre parent biologique. Elle souhaite aussi que l'enfant ait le «droit» de voir le beau-parent après séparation et qu'en cas de décès du parent biologique, le beau-parent puisse se voir confier l'enfant.
Mais l'idée de créer un lien juridique entre enfant et beau-parent ne fait pas l'unanimité : l'Unaf (Union nationale des associations familiales) y est opposée, craignant que cela ne «génère de nombreux conflits d'autorité et des contentieux dont l'enfant subira les conséquences». Pour la délégation aux droits des femmes du Sénat (rapport 2006), un «statut» risque de s'opérer «au détriment du parent biologique non gardien de l'enfant», alors que le droit de la famille s'attache à «préserver les liens de l'enfant avec ses deux parents biologiques au nom du principe de la coparentalité». Les familles recomposées étant plus que les autres exposées à de nouvelles ruptures que deviendra l'enfant pris entre plusieurs «beaux-parents» ?
S’il est indispensable de prendre en compte la réalité de la pluriparentalité, l’exemple de Tim nous indique à quel point la référence au parent biologique ou au parent affectif est loin d’aller de soi, et à quel point il va être complexe de sortir du cas par cas pour mettre au point des mesures qui allègent les conflits de loyauté dans lesquels nombre d’enfants sont en train de se noyer.
Extrait du blog de Serge Hefez : Familles je vous haime
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