La Place du Père
Etre père, c’est être un homme ayant eu au moins un descendant. Inconsciemment, on associe « père » et « pérennité », alors qu’on pourrait associer « père » à « repère ».
Histoire
Le droit maternel a précédé le droit paternel. Le système patrilinéaire n’apparaît qu’entre -2500 et – 1200, et le père devient le chef de famille, donnant son nom à ses enfants. Ce système crée des tensions dans les relations homme-femme. L’ascendant des hommes est tel qu’ils finissent par occulter l’importance des femmes dans le processus de création pour les transformer en simple réceptacle… A Rome, être père représente le pouvoir absolu (les esclaves n’ont pas le droit d’être pères). La Révolution Française de 1789 avait précipité la remise en cause de la toute puissance paternelle. En 1792, les majeurs ne seront plus soumis à la puissance paternelle, et il faudra attendre 1935 pour voir supprimée officiellement la correction paternelle.
La fin de la puissance paternelle a été votée en 1970, pour laisser place à l’autorité parentale. Dans les années 1980-1990, on passe de l’exclusion du père à son « utilité ». La nouvelle loi sur la refonte de l’autorité parentale du 4 mars 2002 reflète la nouvelle réalité de la famille : accroissement des naissances hors mariage, augmentation des divorces, familles recomposées…
Depuis ces dernières années, la fonction paternelle a été marquée par la participation du père à la grossesse, à l’accouchement de sa femme…trouver sa place complémentaire dans le duo mère-enfant.
On ne naît plus père, on le devient
Le père, en tant que « chef de famille », rapportait l’argent au foyer, tandis que la mère avait en charge d’élever les enfants. Ainsi, avant les années 1970, les pères vivaient la grossesse de leur compagne dans une grande solitude, sans montrer leurs émotions de peur de perdre leur virilité. Dans les années 1970, les pères sont invités à couper le cordon et à donner le bain au nouveau-né. Dans les années 1980, la communication affective débute dès la grossesse entre le père et la mère, et entre eux et leur bébé. Aujourd’hui, on dit que le père et la mère « l’ont eu ensemble, le bébé ». Des groupes de parole de pères existent, permettant de reconnaître la différence des sexes homme / femme, la différence des émotions, afin de mieux trouver leurs places complémentaires.
L’absence du père
L’éloignement : des pères sont séparés de leurs enfants par des milliers de km, ils ne se voient que pour les vacances. Grands-parents, oncles, frères ou cousins sont de possibles substituts. Les relations père-enfant sont, de fait, superficielles ; positives mais parfois douloureuses, frustrantes ou décalées.
Dans les familles, notamment maghrébines, lorsque le père s’est exilé pour travailler, la paternité est forcément difficile à vivre. D’autant qu’au Maghreb, le père est considéré comme le représentant de Dieu dans la famille… En France, il n’est pas déifié, il n’est qu’un individu parmi d’autres, alors certains pères immigrés se terrent dans le silence et tiennent leur histoire secrète. Pourtant, chacun s’appuie sur ce que lui lèguent ses parents… En grandissant, les enfants se retrouvent dans un entre-deux culturel, suseptible de brouiller leur propre paternité. Etre père suppose aussi d’assumer son histoire et de s’en nourrir.
L’absence : elle se retrouve sous 3 formes : absence de filiation paternelle, absence d’autorité parentale pour le père et absence du père dans la vie quotidienne de l’enfant (divorce, séparation) où le pilier institutionnel a volé en éclats.
Par ailleurs, l’évolution des sciences bio-médicales change les critères de désignation des pères. Ce changement va s’accentuer aussi du fait du développement des familles recomposées. La question se pose alors de qui est le père : le géniteur, l’éducateur au quotidien ou le père légal ?
Le droit a conféré un statut au père dans les couples non mariés, mais il ne parvient pas à éviter l’extinction des liens père / enfant(s) lors des divorces et séparations. Or, la filiation paternelle a une grande importance dans la construction subjective de l’enfant. Cette absence peut aussi perturber la construction de l’identité sexuée des enfants.
Père et mère face aux émotions
Les femmes sont majoritaires à se préoccuper du relationnel et de l’émotionnel. Les pères n’ont pas l’habitude de ce langage, ils doivent se « rééduquer » pour parvenir à nommer les émotions tout simplement : identifier l’émotion et surtout, oser la formuler à autrui en dépassant la pudeur, la gêne, le sentiment d’être ridicule. Les femmes ont besoin de partager leurs sentiments, leurs idées, et sont portées sur le verbal et la communication. Les hommes sont plus émotifs mais n’expriment pas ou peu ce qu’ils ressentent, confondant la sensibilité avec la sensiblerie.
Avec l’enfant, le père reconnaît à la mère des « compétences maternelles spontanées ». Quand l’enfant grandit, le père est appelé à la rescousse pour user d’autorité.
Quand les parents consultent, les mamans viennent chercher de l’aide pour assurer avec les petits et sortir du stress, alors que les papas recherchent un mode d’emploi pour adolescents afin de renforcer leur autorité. Ces attentes diffèrent ou se cumulent quand les personnes élèvent seules leurs enfants.
Les hommes dans les emplois auprès des enfants sont peu nombreux : une carence en hommes existe dans les structures éducatives. On essaye aujourd’hui d’intégrer davantage les hommes au sein des structures d’accueil telles que les crèches, pour qu’ils s’y sentent davantage valorisés. Si les parents s’y sentent plus sécurisés, l’enfant le sera aussi.
Le père selon l’âge de l’enfant
A la naissance, le congé de paternité est rentré rapidement dans les mœurs, très apprécié des familles qui en ont bénéficié. La présence du père est rassurante pour la mère qui apprécie son aide. Cependant, des enjeux masqués apparaissent : le congé de paternité amplifie réactive les douloureux conflits en rapport avec l’égalité des sexes et la spécificité des rôles de chacun, notamment du fait de l’allaitement maternel…
Pour la mère, se retrouver seule, c’est gagner aussi la certitude d’être vraiment la mère.
Les pères ont pour leur enfant adolescent des rêves qu’il faut confronter, un jour, à une réalité moins prestigieuse. La fonction du père envers sa fille adolescente est différente de celle qu’il entretient avec son fils. Ceci dit, fils ou fille, l’adolescent a surtout besoin d’un père qui s’inscrit dans sa généalogie, qui lui transmette des valeurs, lui pose des limites et des interdits tout en renonçant à sa toute puissance.
Grâce à son grand-père, l’enfant vérifie que le fil de la vie se déroule dans la durée ; la durée organisant le sentiment d’exister. La transmission culturelle est importante, on parle souvent des « racines ». Lorsque les couples sont séparés, la référence grand-paternelle peut maintenir le lien avec le parent qui n’a pas la garde de l’enfant. Si le petit enfant admire le grand-père, la réciproque est vraie, dans une aspiration narcissique. L’allongement de la durée de vie ne doit donc pas être considéré comme un fardeau social.
Père ou mère bis ?
Si être mère consiste à donner la vie, être père consiste à donner le sens, c'est-à-dire à montrer la direction tout en apportant la signification. C’est peut-être une image d’Epinal, mais ce rôle de transmission est essentiel. Dans les séparations, les pères qui n’ont pas la garde refusent d’assumer le rôle de « père-sévère », pour éviter le rejet de leur enfant, vu que leur temps ensemble est compté.
Le père actuel serait-il un clone raté de la mère ? Il est plus courant aujourd’hui de zapper le père que la mère (la garde étant plus fréquemment confiée à la mère). Où est le centre de gravité de la famille ?
Autrefois, le père était le principal initiateur socio-culturel de l’enfant. C’était avec lui que l’enfant apprenait les bases de la vie en société. Aujourd’hui, les enfants ont d’autres sources d’initiation en cas d’absence du père.
(merci à hana pour sa participation collaborative à ce dossier, et au Journal des Professionnels de l’Enfance à partir duquel ce dossier a été réalisé)
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