Interview de Roselyne Bachelot - Députée Européenne, du 19 juillet 2006
Avertissement : Parent-Solo a informé l'ensemble des députés français de la création du site www.parent-solo.fr, puisqu'il s'agit d'un réel sujet de société, dont certains aspects relèvent du législateur. Nous publierons les interviews que les hommes et femmes politiques auront bien voulu nous accorder, en espérant que la pluralité soit de mise, sans aucun amalgame partisan de notre part.
Roselyne BACHELOT, née en 1946, est Docteure en pharmacie. Elle fut porte-parole de la campagne présidentielle de Jacques Chirac (février 2002), avant de devenir Ministre de l'écologie et du développement durable du Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin (mai 2002-mars 2004). Elle est aujourd'hui députée UMP-PPE au Parlement européen, conseillère régionale de la région des Pays de Loire, membre du Bureau exécutif de l'UMP, Secrétaire Nationale de l'UMP en charge des questions de société, membre du bureau politique du Parti Populaire Européen (PPE).
Parent-Solo : On comptait 18 % de familles monoparentales en 1999 (derniers chiffres INSEE). Notre site www.parent-solo.fr que nous souhaitons communautaire et collaboratif, vous a visiblement interpellé puisque vous avez accepté notre interview ?
Selon des chiffres de l'INED de 1999, en France près de 3 millions d'enfants - soit plus d'un enfant sur 5 - ne vivent pas avec leurs deux parents. En Europe, près d'un enfant sur 3 passe une partie de son enfance - soit avant l'âge de 16 ans - avec un seul de ses parents. Tous les indicateurs sociologiques et démographiques indiquent que ces tendances vont se poursuivre dans nos sociétés occidentales. Par conséquent, la diversification des modèles familiaux interpelle forcément le politique, qui doit s'efforcer de traduire, notamment dans la loi, la réalité sociale de notre pays et les aspirations des citoyens.
P.S. : On entend peu parler de ce problème des familles monoparentales, de la part des " politiques ". Nous avons mis un sondage en ligne " Comment peut-on mieux sensibiliser la société au problème des parents solos ". La réponse " en agissant auprès des politiques " revient souvent. Auriez vous des propositions de loi en cours, à ce sujet, vous-même ou votre groupe ?
En tant que Secrétaire générale adjointe de l'UMP, je peux vous assurer que les questions liées à la famille font particulièrement débat au sein de notre parti. La problématique des familles monoparentales est naturellement prise en considération dans ces réflexions, du fait notamment des caractéristiques dominantes dans ce type de structure familiale : difficulté de l'accumulation des rôles sociaux pour le parent, situation financière souvent précaire, problèmes de reconnaissance… A cela s'ajoute le fait majeur que l'énorme majorité - environ 80 % - des parents isolés sont des femmes, alors que dans le même temps dans notre société des éléments forts d'inégalité entre hommes et femmes perdurent.
P.S. : Certaines familles monoparentales payent des impôts de façon injuste : les parents qui n'appliquent pas la garde alternée pour différentes raisons (éloignement, discorde…), ont une position statutaire qui n'est pas du tout prise en compte. Ils sont considérés comme des célibataires, alors qu'ils doivent avoir un logement suffisamment grand pour accueillir leurs enfants, des revenus suffisants pour entretenir leurs enfants, etc. Impôts sur le revenu et taxe d'habitation sont en cause : n'y aurait-il pas une adaptation des textes à faire ?
Statistiquement, les familles monoparentales ont un niveau de vie inférieur (Eurostat : revenu inférieur de 23 % par rapport à celui de l'ensemble des ménages avec enfants) donc si on avait un message à vous faire passer ce serait celui là : tenir compte fiscalement de la situation du parent qui n'a pas la garde au quotidien, mais qui n'en a pas moins les charges. Aujourd'hui chacun des parents peut avoir sur sa carte vitale les enfants, mais la CAF ignore tout ça y compris la garde alternée car elle verse les aides qu'à un seul des parents. Ce sont des points pratiques importants à modifier : partagez vous ce point de vue ?
(réponse aux questions 3 et 4) Vos deux questions recouvrent la même problématique qui est un vrai sujet de réflexion pour le politique : quelles obligations financières et fiscales peuvent être considérées comme acceptables, opportunes, nécessaires à assumer par les membres d'une famille qui ne vivent plus au sein du même foyer ? L'augmentation du taux des divorces par exemple a été si rapide que le législateur n'a à n'en pas douter pas encore tiré tous les enseignements de ce qu'il convenait de faire pour les familles monoparentales. On en est resté - ce qui est quand même important ! - aux modalités de règlement du différent conjugal mais les dispositions financières futures, avec des situations personnelles qui forcément évoluent tout au long de la vie, posent question. Je suis députée européenne et je sais que l'Europe n'est pas indifférente à ce sujet : il serait fructueux d'examiner dans chaque pays européen les mesures de politique sociale prises en faveur des parents seuls. Les familles monoparentales ont aussi un certain nombre de besoins non financiers mais qui méritent considération : aide sociale, éducation, reconversion professionnelle, garde des enfants, soutien face à des difficultés d'ordre social ou psychologique... Votre rôle, à " parent-solo ", ainsi que plus largement celui des associations, est important en la matière.
P.S. : Après quelques mois d'existence, le site www.parent-solo.fr se remplit de témoignages de détresse : financière, juridique, morale, psychologique, matérielle, logement, etc… qui concernent d'ailleurs des femmes, comme des hommes. La précarité et la pauvreté se conjuguent - dans bien des cas (pas toujours heureusement) - avec la monoparentalité, dont il est peu question. Vos fonctions de femme politique vous amènent-elles à le ressentir ?
On constate en effet que les taux de pauvreté sont souvent plus élevés chez les familles monoparentales. Je voudrais en particulier parler des femmes, qui représentent 80 % des chefs de famille monoparentale. N'oublions pas ces chiffres à eux seuls très éloquents : les femmes représentent 80 % des travailleurs à temps partiel, 80 % des emplois non qualifiés, 80 % des salaires inférieurs ou égaux au SMIC. Le taux de chômage des femmes est également supérieur à celui des hommes. Par conséquent, la nature même du marché de l'emploi, le manque parfois de soutien du parent absent alliés aux difficultés de conciliation d'une activité avec les responsabilités familiales, peuvent entrainer des situations de grande détresse. Un certain nombre de mesures concrètes sont envisageables : il est certain que le travail à temps complet est le meilleur moyen de garantir l'autonomie des femmes. Le droit du travail prévoit que les salariés à temps partiel aient un accès prioritaire aux emplois à temps complet qui se libèrent ou se créent dans l'entreprise : il faut appliquer cette disposition. Il faut aussi améliorer la formation professionnelle continue, et mettre en place des services de garde plus adaptés aux besoins des familles, en développant les crèches d'entreprise par exemple.
P.S. : Valérie PECRESSE, rapporteur UMP de la mission de l'information sur la famille a dit : " A l' UMP nous sommes attachés au principe fondamental de la filiation : un père, une mère, un enfant. ". La famille évolue et il faut en tenir compte. Avez vous l'impression que le cas des familles monoparentales est réellement pris en considération ?
Ce que dit Valérie Pécresse, qui rappelle les fondements de la filiation, est absolument compatible avec une vision réaliste de l'évolution de la famille aujourd'hui. Son rapport intègre la diversification des modèles familiaux. Même si sur certains aspects - vous savez que je suis favorable par exemple au mariage des personnes homosexuelles - je trouve que les travaux de la mission ne vont pas assez loin dans leurs préconisations, les droits de l'enfant sont au cœur du rapport et c'est bien le plus important, ce qui doit nous réunir tous.
J'ajoute en aparté que Valérie Pécresse préconise aussi une délégation de responsabilité parentale pour le beau-parent, mesure susceptible de concerner les 3 millions de mineurs qui ne vivent pas avec leurs deux parents. Il s'agit d'une disposition moins rigide que la délégation d'autorité parentale instaurée par la loi de 2002 et qui conduisait à placer un tiers au même niveau de responsabilité parentale, ce qui était peu utilisé. Elle propose donc que les parents puissent désigner un délégué pour les actes de la vie courante de l'enfant (sortie d'école, voyage à l'étranger, hospitalisation), sans aller plus loin. J'imagine que ce sujet doit également faire débat sur votre site, car dans un contexte de familles monoparentales, homoparentales, recomposées… le statut du parent social est un thème à considérer.
P.S. : Si vous aviez demain un " pouvoir décisionnaire " au niveau de notre pays ou de l'Europe, quels seraient les fondements de votre politique familiale, notamment à l'égard des familles monoparentales ?
Je reviens encore aux femmes, car vous savez que la défense des droits de celles-ci structure mon engagement politique depuis toujours ! Savez-vous que la moitié des femmes déclarent avoir été contraintes de renoncer à leur emploi ou d'accepter un temps partiel faute de place en crèches ? Qu'une famille sur deux déclare ne pas avoir accès au mode de garde initialement souhaité ? On mesure bien que ce qui constitue déjà un casse-tête permanent pour les familles est décuplé dans un cadre monoparental. J'estime que c'est là-dessus qu'il faut agir, lutter contre la précarité professionnelle (en engageant par exemple un programme spécifique de retour à l'emploi aux bénéficiaires de l'API), sécuriser les parcours, et aider à la meilleure conciliation des différents temps de la vie.
P.S. : A l'issue de cette interview, vous sentez-vous plus " sensibilisée " et pensez-vous pouvoir " défendre notre cause " ?
En ce qui concerne la famille, vous m'accorderez que j'ai toujours eu à cœur de défendre les causes qui me tenaient à cœur, et mon combat en faveur du Pacte Civil de Solidarité, où je n'avais pas dans ma famille politique que des alliés, en témoigne ! Je suis donc heureuse d'avoir pu, grâce à cette interview, initier un dialogue avec vous sur le thème des familles monoparentales, et suis naturellement volontiers disposée à poursuivre cet échange et à prendre connaissance des propositions concrètes que vous seriez amenés à faire, notamment dans la perspective des prochaines échéances électorales.
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