Une séparation, un film de Asghar Farhadi
Une séparation est un film iranien de Asghar Farhadi, qui sort en salle le 8 juin 2011. La critique est unanime : formidable !
Simin appartient à une classe moyenne urbaine de plus en plus occidentalisée. Elle est prof d'anglais, veut quitter Nader, employé de banque, et partir au Canada. Il refuse qu'elle emmène leur fille de 10 ans. Première scène magistrale où, devant un juge - qu'on ne voit jamais, les personnages sont face caméra -, la demande de divorce de l'épouse est rejetée. "Tous les enfants qui vivent dans ce pays sont sans avenir ?" interroge, presque menaçant, l'homme de loi. Le film trouve d'emblée le ton : des affrontements verbaux qui sont autant de plaidoyers désespérés, une caméra aux aguets qui capte ce qui semble des bribes de réalité, un peu à la manière des frères Dardenne.
L'enchaînement des événements est fatal : resté seul, Nader cherche quelqu'un pour surveiller son père impotent, atteint de la maladie d'Alzheimer. Il engage Razieh, une jeune femme très pieuse, d'un milieu plus modeste. Etonnante scène où elle doit appeler au téléphone un conseiller religieux pour s'assurer que changer le vieillard n'est pas un péché. Elle rajuste son tchador (un geste qui, dans le film, devient comme un rituel du passage du dedans au dehors) et enfile des gants en caoutchouc... Un jour, Nader trouve son père, laissé sans surveillance, au pied du lit. Se dispute avec l'employée, qui tombe au cours de l'empoignade. La voilà à l'hôpital : elle a perdu son enfant... Nader savait-il qu'elle était enceinte ? Est-il responsable de sa fausse couche et, selon la loi iranienne, coupable de meurtre ?
Dune précision diabolique, le scénario oppose deux couples, celui, aisé (reformé provisoirement), qui crie son innocence et celui, modeste, qui réclame justice. Deux couples, ou plutôt deux maris : la place attribuée à la femme dans la société iranienne survalorise le rôle de l'homme, presque malgré lui. Nader se défend par la force du raisonnement. C'est ce qu'il enseigne à sa fille : toujours croire à la raison plus qu'au dogme, contester l'autorité du professeur si celui-ci se trompe. Plus impulsif, carrément sanguin, l'époux de l'employée incarne, lui, une tradition fondée sur la religion. A la loi civile, il est prêt à substituer le diyya, cette loi du talion islamique qui peut effacer un crime contre une indemnité financière. Coexistence de deux philosophies radicalement différentes...
En fait, les deux hommes sont tous deux prisonniers d'un système de pensée qui les conduit à l'intolérance. Ce que la mise en scène rend formidablement : l'appartement de Nader, où se situe une bonne partie de l'action, est comme un labyrinthe, une prison où il s'agite en vain ; les lieux publics (tribunal, hôpital, école) ne sont que les théâtres d'interminables joutes oratoires, où la violence physique n'est jamais loin. « Mon problème, c'est que je ne sais pas parler comme lui », hurle l'homme de condition modeste, dépassé par la rhétorique de son adversaire. Mais le mensonge va mettre à mal chez l'un l'obsession de la vérité, chez l'autre la nécessité de la vertu. Personne n'a tout à fait raison...
Asghar Farhadi vient du théâtre, ce qui se sent à la fois dans sa maîtrise du langage et dans la précision de sa direction d'acteurs, tous exceptionnels. Son talent est de rendre passionnants les cas de conscience de ses personnages, l'enchevêtrement quasi kafkaïen qui les lie, les oppose et les mène à marche forcée vers le conflit. Mais ce cinéaste du verbe croit aussi aux vertus du silence : trois personnages observent, presque muets, le drame qui se noue. Le vieil homme, qu'on trimbale comme un poids mort et dont on ne sait exactement ce qu'il perçoit. La fille de Nader, préadolescente, qui voit son père s'embourber dans son jusqu'au-boutisme ; et la fillette du couple modeste qui observe, placide, les adultes se déchirer. Si le vieillard est l'Iran d'hier, sans voix, les fillettes sont-elles l'Iran de demain, les yeux grands ouverts sur le présent ? Elles font équipe, le temps d'une courte partie de baby-foot, mais le dénouement les laisse éloignées, prêtes à s'affronter quand elles seront adultes... La Séparation de Nader et Simin, dit le titre original en farsi. Le titre français vise plus large : s'il y a séparation, c'est bien entre les membres d'un même corps social en crise.
(source Télérama)
Poster un commentaire
Autres actualités à découvrir
- Les familles monoparentales mal aimées par le gouvernement Barnier ? Après des semaines d'atermoiements, un premier ministre a fini par être nommé, puis un gouvernement. Et le 21 septembre 2024, Agnès Canayer, issue des Républicains (LR) a été nommée... Dans Actualités - Publié le 25/10/2024
- Aide exceptionnelle pour les familles monoparentales les plus précaires La "loi de finances de fin de gestion" (LFG) a fait son apparition pour la première fois puisqu'elle a récemment été créée pour permettre de faire des ajustements de crédits indispensables... Dans Actualités - Publié le 14/11/2023
- L'allongement de l'aide à la garde d'enfant de 6 à 12 ans n'est pas pour demain Une belle annonce avait été faite lors du conseil des ministres du 14 septembre 2022 par le ministre des Solidarités, de l'Autonomie et des Personnes handicapées, Jean-Christophe Combe, qui y... Dans Actualités - Publié le 20/02/2023
- Les enfants des autres, un film qui redore l'image de la belle-mère Les enfants des autres, le nouveau film de Rebecca Zlotowski sort en salles le 21 septembre 2022 (1h43). Il y est question d'une situation familiale finalement très banale - celle d'une famille... Dans Actualités - Publié le 29/08/2022
- Les changements du 1er juillet 2022 Chaque année, le 1er juillet, comme le 1er janvier, voit son lot d'évolutions tarifaires touchant à différents domaines. Voici celles qui concernent plus spécialement les familles, quelles... Dans Actualités - Publié le 29/06/2022
- A plein temps : Laure Calamy époustouflante en maman solo A plein temps, le nouveau film d'Eric Gravel sort en salles le 16 mars 2022. Il va parler à la plupart des familles monoparentales et des mamans solos qui se doivent d'être des guerrières, des... Dans Actualités - Publié le 16/03/2022