Les hommes sont-ils des mères comme les autres ? - Le Monde 9 février 2011
Le Monde du 9 février 2011 publie une tribune signée Olivia Uzan, avocate au barreau de Paris, et titrée : "Les hommes sont-ils des mères comme les autres ?"
On trouve ces derniers temps dans les prétoires des situations en passe de faire vaciller les critères communément admis de la virilité : un homme s'effondre en sanglots à la lecture du rapport établi par une enquêtrice sociale. Désignée par le juge pour éclairer sa décision, elle a émis un avis mitigé sur sa demande de père d'obtenir la résidence alternée de ses fils. Un autre, quant à lui, assigne son ex-épouse, qui a passé outre le jugement de divorce et le droit d'hébergement du père. Elle est poursuivie pour "non représentation d'enfant". C'est un délit, réprimé par le code pénal. Autre cas : celui d'un homme qui s'est constitué partie civile pour les violences dont il est victime ; son agresseur est… son épouse. Dernier exemple, enfin : cet époux qui formule une demande de prestation compensatoire, car sa working-girl et future ex-femme a des revenus plus élevés. Et pour cause, ce père a choisi de passer plus de temps avec ses enfants…
Ces situations sont de plus en plus courantes. Les hommes, autant époux, carriéristes, que pères, cherchent désormais auprès de leur avocat celui qui les accompagnera dans leurs revendications. Ils n'admettent plus ce rôle de "distributeur automatique" dans des procédures où, selon eux, les dés seraient pipés. Si les femmes ont acquis la possibilité d'exercer des "métiers d'hommes", ces derniers, pour leur part, aspirent à ce que l'on reconnaisse leur qualité de père à part entière. Et ce, bien au-delà du seul rôle de géniteur ou de pourvoyeur de fonds.
Bien souvent, ces hommes ont un discours commun ; ils sont ce que les femmes en ont fait, c'est à dire des "pères protecteurs", mais aussi quasiment des "mères de lait". Ce qui les a transformés en compétiteurs de talent, capables d'ébranler le rôle longtemps laissé à l'exclusivité de la mère nourricière : l'usage des biberons, micro-ondes et lait en poudre ne revêt plus aucun caractère mystérieux pour ces pères actifs, au travail… comme à la maison. Le résultat peut être perturbant pour des femmes qui n'ont pas l'habitude d'entendre que le droit de visite et d'hébergement "classique" (un week-end sur deux) ne soit plus la règle absolue. La surprise persiste, lorsque l'on explique à ces mères que "résidence alternée" (une semaine sur deux) signifie "suppression de la pension alimentaire".
UN STATUT PLUS FORT AUX PÈRES
Ajoutons à cela les cas où les revenus des deux parents sont équivalents : l'octroi d'une prestation compensatoire est alors enterré, car le critère de la disparité des niveaux de vie, qui en fonde l'existence, disparaît. Qu'est-ce à dire ? Qu'il faille s'en alarmer ? Assurément non. En concédant enfin aux pères la place qu'ils revendiquent, on désarme les tentatives habituelles de faire payer aux enfants le prix d'une séparation. Les juges accordent désormais bien plus facilement aux hommes un droit de visite et d'hébergement élargi (du jeudi soir au lundi matin par exemple) ou une résidence alternée. Cela n'a pas toujours été le cas et cette évolution des tribunaux est assez récente, mais réelle. Notre pays peut se targuer de faire preuve de modernité, bien plus qu'outre-Manche. Aux Etats-Unis, la garde des enfants en cas de désaccord est en effet systématiquement accordée à la mère. Ce qui était le cas de notre droit, dix années auparavant…
Nos juges sont-ils précurseurs ? Probablement sur cette question, où ils s'enhardissent à accorder un statut plus fort aux pères. On ne peut que les y encourager : moins d'huile sur le feu, moins de contentieux, ce dont les enfants sont évidemment les premiers bénéficiaires. Quant aux femmes, elles ont tout à y gagner : les pères, en assumant à mi-temps la garde de leurs enfants, leur permettent de mener de front vie professionnelle et vie privée. Voire même de retrouver des ambitions freinées par les premières années de la maternité. Une fois passés les traumatismes d'une séparation, elles disposent à nouveau d'un vrai luxe : celui du temps.
Dans l'univers des hommes quelque peu perturbé par les échos d'un féminisme parfois ravageur, il serait bienvenu d'être fair-play. Ce qui équivaudrait à une répartition plus juste des bénéfices : reconnaître aux pères qu'ils ont autant de droits que ceux des mères, c'est octroyer aux hommes une virilité apaisée. Et garantir une marche commune vers l'égalité des salaires : ces "neo-pères" pourraient en effet se révéler de farouches partisans d'une meilleure parité des revenus. Ce qui serait pour eux un gage supplémentaire de l'autonomie de leur compagne en cas de séparation. Le féminisme récolterait là des fruits inattendus, de ceux qu'on n'imaginait pas avoir semés.
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