Point de vue de la Défenseure des Enfants sur la pauvreté des familles
Dominique Versini, défenseure des enfants, ancienne secrétaire d'Etat chargée de la précarité et de l'exclusion
signe un "Point de vue" intitulé "La pauvreté des enfants et de leurs familles n'intéresse guère l'Etat français" dans Le Monde du 25 novembre 2010 :
Une fois de plus, le froid menace ceux qui sont sans domicile fixe. Depuis la création du SAMU social, dont j'ai assuré la direction de 1993 à 2002, la situation sur le terrain a profondément évolué. A cette époque, il s'agissait "d'aller au-devant de ceux qui ne demandent plus rien", c'est-à-dire les clochards vivant à la rue depuis de nombreuses années, survivant grâce à l'engagement des bénévoles des associations caritatives, tout en fuyant la Bapsa (brigade d'aide pour les sans-abri) de la préfecture de police de Paris car, en ce temps-là, le vagabondage était un délit, ce qui les amenait à séjourner loin des beaux quartiers parisiens, dans un centre d'hébergement situé à l'hôpital de Nanterre (Hauts-de-Seine).
Le SAMU social, conceptualisé par le docteur Xavier par analogie au SAMU "médical", a développé une autre méthode pour les approcher. Avec des équipes médico-sociales, il les amène à accepter un hébergement dans des centres réhabilités et gérés par des professionnels ou une prise en charge médicale. Parallèlement, il s'agissait de les accompagner dans un parcours complexe de réappropriation de leurs droits fondamentaux puis de réinsertion sociale.
Pour ces "naufragés de la vie", l'objectif logement semblait souvent trop éloigné et j'ai pu, en tant que secrétaire d'Etat chargée de la précarité et de l'exclusion (7 mai 2002 au 31 mars 2004), lancer un programme de maisons relais et développer, sur l'ensemble du territoire, des équipes mobiles de psychiatrie sociale pour ceux qui souffrent de troubles mentaux.
On pourrait considérer que le SAMU social aurait parfaitement rempli sa mission envers les plus exclus s'il n'avait pas été immédiatement sollicité et "embolisé" par des milliers de personnes via le numéro d'urgence pour les sans-abri. Le 115, qui n'est jamais arrivé à satisfaire tous les demandeurs malgré l'augmentation régulière de ses moyens, a toutefois le mérite de lever le voile, chaque hiver, sur les nouvelles réalités de la rue qui ont depuis longtemps dépassé la seule population des clochards.
Dans mes fonctions de défenseure des enfants, je suis à nouveau au coeur de ces problématiques d'exclusion qui montrent les limites de nos institutions ainsi que l'incapacité des politiques publiques à anticiper les évolutions de la société. La crise économique a entraîné un effet amplificateur sur les familles les plus vulnérables, premières victimes du chômage, et notamment les familles monoparentales.
Les enfants victimes de la pauvreté sont 2 millions à vivre dans une famille qui dispose d'un revenu inférieur au seuil de pauvreté, soit 950 euros par mois après avoir touché les allocations familiales et les allocations de logement. La moitié de ces familles a même moins de 773 euros par mois...
Le problème commun à toutes ces familles - dont 600 000 enfants - est celui du logement, insalubre, surpeuplé ou absent. L'issue en est souvent le passage par la rue du fait de l'absence ou de la perte de ce logement. Parfois dès la sortie de la maternité, ce qui a pour conséquence l'éclatement de la famille. Les expulsions locatives, qui sont un événement traumatisant pour les enfants (10 000 expulsions en 2009), conduisent beaucoup d'entre eux à la rue puis à un parcours erratique de chambre d'hôtel en chambre d'hôtel, via le 115, qui les affecte dans des hôtels souvent éloignés du lieu de scolarisation.
Les conséquences de la précarité sont multiples pour tous les enfants : augmentation des placements à l'aide sociale à l'enfance, parcours scolaires difficiles menant 150 000 d'entre eux à sortir, chaque année, de l'école sans qualification, inégalités d'accès aux soins... Avec une mention spéciale pour les enfants étrangers dont les parents sont en situation irrégulière. Ils ont la peur au ventre tout le temps, leur qualité d'enfant jouant souvent comme un sauf-conduit pour la famille jusqu'à leur majorité.
On est loin des missions du SAMU social, à qui il faut donner les moyens de gérer vraiment la grande exclusion, pour laquelle il a été créé. Des priorités politiques doivent être décidées pour toutes les autres populations et leurs enfants avec une priorité absolue sur la construction de logements sociaux, parce que chaque enfant a le droit fondamental, selon la Convention internationale des droits de l'enfant, de pouvoir grandir et s'épanouir dans un environnement familial sécurisant. Sans logement, aucun projet de vie équilibrant ne peut s'imaginer.
C'est ce que les 31 grandes associations qui interviennent dans le champ de l'urgence sociale et du logement (Fondation Abbé Pierre, Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (Fnars), ATD Quart Monde, Emmaüs, Centre d'action sociale protestant...) voulaient dire, avant l'hiver, au président de la République, qu'elles souhaitaient rencontrer. Faute d'être entendues, elles ont installé 31 petites tentes rouges sur le pont des Arts, à Paris, le 5 novembre. Pour toute réponse, ces valeureux défenseurs des pauvres ont été pris en étau par des forces de police en nombre tout à fait disproportionné au regard de la "dangerosité" des associations présentes, qui assurent, rappelons-le, les missions de service public de l'Etat.
Passant les saluer, en reconnaissance pour leur engagement de toujours auprès des plus démunis, j'ai partagé ce moment invraisemblable en compagnie des présidents des associations. Un sentiment étrange m'a étreint le coeur et une secrète prière s'est élevée en moi vers le ciel : "Abbé Pierre, vous nous manquez..., de votre temps, l'Elysée ou Matignon vous aurait envoyé immédiatement une voiture avec chauffeur pour discuter des problèmes des pauvres."
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